Ce matin, lorsqu’on se lève, on se rend vite compte que malgré le fait que le vent se soit calmé durant la nuit (notre petite cabine nous en faisait vivre chaque assaut), la neige est tombée en conséquence. Environ 10 cm bien tassés, et ça continue encore et encore, à gros flocons.
Le ciel est bouché de chez bouché, avec une lumière grisâtre pas très avenante. Mais on ne se plaint pas, on a, jusqu’alors, pas eu beaucoup de mauvais temps.
Le temps pour nous d’aller payer notre nuit, j’en profite pour prendre en photo de plus près le bibliobus, malheureusement le chauffeur n’est pas là et nous aurions bien aimé discuter avec lui, nous voilà donc de retour sur la route E08 direction Kaaresuvanto (ou Karesuando côté suédois selon si on traverse la Muonio River qui est par conséquent la frontière entre les deux pays).
Les paysages s’enchaînent alors que la tempête semble se calmer, et le soleil tente une petite percée derrière les nuages. Les montagnes quant à elles, se font de plus en plus plates, et la taïga de plus en plus présente.
Des étendues blanches, semblables à des déserts ponctués d’arbres solitaires tentant de résister aux assauts du vent. On s’arrête de temps en temps, profiter du paysage, du silence et prendre quelques photos.
Lors de l’un de nos arrêts, on aperçoit une grosse boîte ouverte, accrochée à un poteau électrique. On suppose que c’est tout simplement la boîte aux lettres commune où chacun dépose son courrier et/ou vient le récupérer le tout sous la bénédiction de Jésus !
La route nous mène à Kaaresuvanto (côté finlandais) où on décide de déjeuner dans le restaurant attenant à la station service. En réalité le seul commerce, si on fait abstraction du magasin de souvenirs fermé la moitié de la semaine.
C’est l’occasion de retrouver la Karhu, fameuse bière finlandaise à tête d’ours. Pour déjeuner sur le pouce je décide de prendre un steak de renne, comme à chaque fois que je suis en Finlande. Celui-ci est cuisiné avec du fromage et du bacon, un vrai régal !
On décide de traverser la rivière/frontière où les traditionnels panneaux indicateurs nous accueillent. 434 km du Cap Nord, c’est presque assez proche pour nous faire regretter de ne pas y aller !
De l’autre côté de la route, un plus grand panneau planté au milieu de plusieurs bancs et semblable à celui vu à Narvik. 15 000 km de Sydney, et 2445 km de Paris…
Vu qu’on est juste à côté, on décide d’aller jeter un œil à la vieille église que l’on apercevait depuis le restaurant. D’extérieur, celle-ci est magnifique, le bois qui ne semble pas avoir été ni peint, ni vernis a très fortement travaillé avec le temps (dans les deux sens du terme).
Les teintes vont du jaune clair au marron foncé. Nous tentons de l’ouvrir et miracle, celle-ci est ouverte ! L’ancienne église datait de 1816, mais 50 après, durant Pâques, le toit s’est effondré en deux parties. L’église a été remplacée en 1905.
L’intérieur est magnifique, fait de bois blanc et turquoise. Pas difficile d’en tomber sous le charme. La sculpture au-dessus de l’hôtel a été exécutée par Bror Hjort, artiste peintre et sculpteur suédois très connu. On apprendra plus tard que c’est lui aussi qui a peint le retable de l’église de Jukkasjärvi dans laquelle on n’avait pas pu entrer.
Cette sculpture représente le prêtre Lars Levi Laestadius, son disciple Johan Raattamaa et une same du nom de Maria. Car nous sommes bien dans une église Laestadienne.
Il serait compliqué d’expliquer l’histoire de ce pasteur à moitié Same, qui a grandement participé à la « déchamanisation » (c’est notamment sur son ordre que sera détruite une grande partie des tambours chamaniques Same) du peuple Same. A la fois botaniste, pasteur protestant, il devient le père d’une vision assez dure et austère de la religion qui oblige l’Eglise de Suède à s’en dissocier.
Néanmoins, on ne peut pas le nier, cette église d’extérieur comme à l’intérieur est pleine de charme et vraiment très belle. Surtout que la couleur flamme, orange du bois ressort bien au beau milieu de la neige.
Alors que comme convenu, on se fait appeler par l’équipe d’Eric Lange et de son émission « Allô la Planète ? » (émission de voyageurs), un énorme hélicoptère ambulance se pose juste à côté de notre voiture.
Le nuage de neige qu’il soulève est impressionnant et de loin, on aurait presque cru qu’il allait se poser sur la voiture. Fort heureusement ce n’était qu’une impression.
On repasse la frontière dans l’autre sens et nous voilà de nouveau côté finlandais, pour prendre la route et ensuite bifurquer direction Enontekiö.
Alors qu’on roule, on aperçoit une petite kota avec quatre rennes en pleine sieste. Au loin, le soleil pointe le bout de son nez, la neige tombe et je tente de faire ami ami avec un jeune renne. Celui-ci prendra la pose pour nous tandis que ses congénères seront occupés à dormir au pied de l’enclos.
Après une grosse dizaine de kilomètres nous voici donc à Enontekiö ou Hetta puisque la ville a deux noms. Avant d’aller nous poser dans notre chalet, on décide de faire un tour du côté de l’église. Alors que sort un gros groupe de touristes français, nous rentrons dans l’église.
Celle-ci est d’aspect beaucoup plus moderne que celle de Karesuando. On se fait accueillir par l’organiste, qui étant parti sur sa lancée des touristes précédents, nous raconte avec passion l’histoire de cette église.
Tenant absolument à nous faire la visite en français, même si celui-ci est très approximatif, il nous emmène dans la sacristie et nous montre un tableau de plus de 400 ans, seul rescapé de l’ancienne église, il nous surprend par son modernisme et sa noirceur. Il nous fait voir une grande gravure sur papier, sorte de bande dessinée, destiné aux Sames alors à l’époque illettrés, afin de leur expliquer la Bible et l’histoire de Jésus.
Accrochée au mur, on peut aussi voir l’une des trois copies du masque mortuaire de Luther en Finlande. Martin Luther était un moine allemand, il est considéré comme le père du protestantisme et grand réformateur de la Bible. Sachant que les pays scandinaves sont à très grande majorité protestante, c’est un objet important pour les locaux.
Cette église date du début des années 50 et a été dessinée par Veikko Larkas, l’ancienne ayant été détruite durant la seconde guerre mondiale. Il nous montre alors l’autel, un peu dans le même esprit que celui de Karesuando. Fait entièrement en mosaïque par Unno Eskola, le bas-relief représente le Christ rédempteur bénissant la vie quotidienne des Sames.
Cette représentation est impressionnante et gigantesque mais laisse un goût particulier, sachant ce que la religion a amené comme profonds changements dans la vie des Sames.
Dans un second temps, notre guide organiste nous fait monter à l’étage juste à côté de l’orgue, pour nous jouer rien que pour nous la Sarabande d’Haendel. Juste avant il nous explique que lors de la construction de la nouvelle église, le pasteur n’avait pas assez d’argent pour avoir un orgue.
Il en a alors parlé à un second pasteur qui se rendait souvent en Allemagne et a expliqué le « problème « . L’Allemagne, dans un souci de se racheter une conduite après la destruction des villages durant la guerre de Laponie pendant la seconde guerre mondiale, offrit une somme conséquente afin que l’église d’Enontekiö puisse avoir son propre orgue, construit en Finlande avec l’argent donné.
Pour l’anecdote, il nous raconte que certains jours de la semaine, les « concerts » d’orgue de cette église sont retransmis à la radio, et que des gens appellent de toute la Finlande pour demander à l’organiste de jouer certains morceaux !
Le morceau joué avec passion dans cette église vide, rien que pour nous est une jolie parenthèse inattendue et un moment privilégié. Nous remercions chaleureusement notre guide pour cette visite, prenons encore quelques photos dont notamment les livres de psaumes en langue sami, puisque l’église propose une messe dans les deux langues, le finnois, et le sami.
En sortant, je prends quelques photos de l’extérieur et notamment des gravures faites dans la soupente du toit. On reprend le chemin de la voiture avec la mélodie d’Haendel en tête.
Nous déposons nos affaires dans notre logement, et reprenons la voiture pour aller voir ce que donne le paysage de la taïga, au-delà de la frontière norvégienne, sur la route de Kautokeino. On regrette de ne pas avoir le temps d’y aller.
A ce propos, nous ne savons pas trop comment le décrire, mais on sent vraiment, et encore plus dans ce coin là de la Finlande, que nous sommes en territoire Same. Et contrairement à ce que peuvent en dire les guides, ou ce que l’on peut ressentir dans d’autres coins. Ici, on semble être très loin du folklore à touriste. Ici nous sommes sur leurs terres d’élevage de rennes, de leur métier, et de leurs traditions. Bref nous sommes sur leur territoire.
Après un repas, une petite bière, une Uhro et un breuvage aux plantes indescriptible, nous sortons pour le café. On constate alors, que dehors le ciel s’est éclairci et l’on discerne désormais le ciel étoilé. Et bien que nos voisins français nous diront que ce n’est pas un bon soir pour les aurores, on décide quand même de tenter notre chance.
On rentre, on s’habille en vitesse, et juste avant de grimper dans la voiture, on voit que les aurores sont en plein boom. Ni une ni deux, on démarre et on s’engage à pleine vitesse sur la route de Kautokeino. On avait déjà repéré un petit parking, au beau milieu de la taïga. C’est d’ailleurs que nous avons fait chaque soirée, repérer le meilleur spot.
Nous fonçons et voyons de belles aurores à notre droite et à notre gauche. Lancés à pleine vitesse, on a presque l’impression d’être dans le film Twister où les héros roulent pour aller chercher les tornades. Arrivés à notre point de vue, on est hallucinés par la beauté des paysages seulement illuminés par une moitié de lune. On arrive au beau milieu de l’accalmie, et celles que l’on voit sont un peu timides, mais ont des formes rigolotes de flammèches.
Dehors il fait -18°c et c’est à coup de thé chaud tout droit sorti de la thermos qu’on profite du spectacle, sous la lueur des aurores et de la lune.
Ici le silence est roi, et la quiétude du spectacle n’est troublée que par une voiture qui passe au bout d’une heure, nous sommes seuls. On a beau être au milieu d’une route, on se sent isolés et privilégiés.
Après plus d’une heure et demie, et bien qu’on a sans doute loupé de quelques minutes le grand spectacle, les nuages se font de plus en présents, cachant les quelques traces que l’on aperçoit. On décide de plier bagage et de rentrer à la maison.
Aujourd’hui nous sommes passés dans trois pays, avons changé d’heure et de monnaie. Demain retour en Suède, direction Övre Soppero.
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