Dans les faits, on avait prévu de se lever tôt, parce qu’on devait avaler plusieurs centaines de kilomètres, le tout dans un timing un peu serré. Mais le fait de se coucher tôt sans doute, et d’écraser une bonne nuit de sommeil, de récupérer, de décompresser, c’est à 6h du mat qu’on commence à mettre le nez en dehors de la couette.
Dehors le soleil commence déjà lui aussi à s’étirer et à tranquillement émerger, le fjord en face de nous, celui-là même où nous nous étions posés hier soir pour admirer la danse des aurores.
Les nuages, tout du moins le peu qu’il y a, se parent d’un rose-orangé dans les tons pastels, qui se marient extrêmement bien avec le bleu glacier du fjord. La mer est faussement calme, douce.
Tandis que les panneaux de destination de bus claquent sous un vent qui commence doucement mais sûrement à se lever, c’est correctement repus que nous filons droit en longeant la côte de fjord en fjord.
On a un bon feeling avec la météo, gardant toujours un petit doute en tête, sachant que le temps au Cap Nord est capricieux. Pourtant, c’est dans un paysage de carte postale, où le soleil baigne les fjords de sa lumière claire que nous remontons vers le nord, parcourant la côte est de la péninsule de Porsanger.
La route, qu’on pourrait définir comme étant la ligne de vie de ces régions, longe des plages – ou des champs, selon ce qui se trouve sous la neige -, où des cabines face à la mer sont apparemment désertées pendant l’hiver.
La roche est imposante, marron foncé et en piles d’assiettes. On essaye de ne pas penser au fait qu’avec le vent qui commence à bien se lever, une assiette peut glisser de la pile, sous le poids de la neige et tomber sur la route…
Les bus filent dans le sens contraire, on croise un camping-car, on se fait doubler par des allemands, aucun doute, on n’est pas en route pour l’endroit le plus désert de Norvège.
On traverse quelques tunnels percés dans la roche, qui nous paraissent au final assez courts comparés au tunnel qui mène à l’île de Magerøya, qui nous ouvre littéralement sa porte : refermée, elle évite à l’eau ruisselante de geler.
Le tunnel passe sous la mer et pourtant, la pente nous fait accélérer et chauffer les freins, avant de remonter. Et la pente est raide ! Après 6km de lumière artificielle, la porte du tunnel se referme derrière nous.
Le vent commence à s’accentuer, les petits serpents de neige apparaissent devant nos roues (ils nous avaient manqué depuis l’Islande !) et on commence à se dire qu’il sera difficile de choper le convoi de 11h.
Le paysage change radicalement : les plaines laissent place à des collines qui bordent des fjords. Il est 11h, le soleil est rasant, sa lumière est claire et fatigue les yeux. Le vent soulève la neige de la toundra, traverse la route et fait tomber les congères.
On arrive finalement au point de départ du convoi avec quelques minutes de retard, on avait le choix de ne pas se presser et de profiter ou celui de tirer une ligne droite d’une traite, on a choisi la première option.
On part faire un tour rapide à Skarsvåg, petit port de pêche du bout du monde, avec son école, son activité, histoire d’être autonome quand la tempête le coupe du monde. Et puis on revient se positionner dans la file pour le départ du convoi à 12h.
Le temps de rapidement casser la graine, ce sont quelques voitures qui se joignent à nous et surtout une ribambelle de cars en provenance des bateaux de croisière de la péninsule d’Honningsvåg. Buses first ! Comme nous le fait gentiment savoir le chef du convoi, c’est donc à eux d’ouvrir la voie et à nous de suivre derrière en file indienne, à la queue leu-leu.
Que dire de la route qui mène au Cap Nord ? Que déjà dans mes lointains souvenirs estivaux, qui commencent sérieusement à dater, j’avais été admiratif, bluffé par le paysage quasiment lunaire du lieu. Une immensité de rien, un paradis du caillou et de la touffe herbeuse battue, défigurée, meurtrie par les vents violents.
En hiver, c’est sensiblement la même chose, sauf que la toile est épurée, les reliefs sont modelés à grands renforts de rafales violentes, la pluie de fines particules de glace vient cingler le paysage dans une sorte de mélodie aiguë. Les montagnes, ressemblent aux dunes du Sahara sur lesquelles il aurait neigé pendant des jours et des jours. Des reliefs bombés, des formes acérées, des pitons rocheux de temps en temps, et devant soi, une longue colonne de véhicules, comme perdus et rapatriés vers un point plus vivant.
Le volant se tient à deux mains, les véhicules se suivent à bonne distance, et les coups d’œil dans le rétro sont constants. Et puis arrive enfin la fin de la route, le bout du bout ou presque, car c’est le moment où le mythe se fait doublement casser.
Il faut d’abord s’acquitter du droit d’entrée – exorbitant, environ 30€ par personne -, ça prend du temps, ça rogne les 1h45 de présence ici, moins les 20 minutes aller-retour. Là, vous vous retrouvez face à la foule des grands jours.
Le spectacle est autant dans le paysage que dans le monde qui le peuple. Soyez prêts à vous faire bousculer sans ménagement, à voir apparaître sur vos photos, un touriste italien, japonais ou allemand, et à mettre la main au portefeuille.
Mais c’est beau quand même, il faut savoir être patient, et dans des courts créneaux, vous pourrez avoir le fameux globe rien qu’à vous. Vous aurez même la chance depuis le globe, d’apercevoir Knivskjellodden, le VRAI Cap Nord, avec ses 71° 11’ 08’’.
Inatteignable l’hiver –la rando fait 18 kilomètres aller et retour – c’est lui l’enfant oublié du globe. « Seuls les vrais savent » comme on dit. Et pourtant on se prend au jeu de ce deuxième Cap Nord, on y est pas mal, même si le vent nous gifle, que vous ne sentez plus votre pouce, y’a quand même un je-ne-sais-quoi d’impressionnant, qui fait qu’on se sent fiers d’être ici.
J’aime ces fins de terre. Elles remettent les choses en place. Elles indiquent que notre monde est fini et qu’il y en a un autre auquel nous n’avons pas obligatoirement accès.
Olivier de Kersauson
Surtout quand on pense que le Pôle Nord est plus proche que Paris ou bien même Oslo. Par chance, la lumière rasante est juste magnifique, les couleurs dorées viennent lécher les arrêtes et les crêtes et on se régale de cette lumière du Nord que l’on aime tant et que l’on recherche constamment.
Mais l’heure tourne vite, trop vite, on saute dans la voiture pile au moment où le convoi s’ébroue. C’est donc repartir pour le chemin en sens inverse, avec un convoi 3 à 4 fois plus long, nous sommes en queue de convoi, ce qui nous laisse le temps d’admirer le paysage, toujours aussi fou, toujours aussi irréel et impalpable.
On a le temps, même si l’horloge ne semble pas être en adéquation avec notre esprit français. Il est 14h mais la lumière laisser penser à un 17h/18h facile. Du coup, on bifurque, et nous voilà descendus sur Kamøyvær.
Mignon et tout petit port de pêche esseulé mais pas totalement, puisqu’on y retrouve un car de touristes en provenance direct d’un bateau de croisière, sans doute le chauffeur est-il en lien avec la seule galerie d’art du village, unique point de convergence des visiteurs du car.
Toujours est-il que ce petit confetti de village, jeté au bout d’une baie, est plus que mignon. Alors on s’y promène dans les ruelles, du cimetière à la fin du village, où les poissons sèchent à l’air libre, à la merci des mouettes et autres prédateurs volants. Une cabane de pêche en plus de sécher son poisson, y laisse aussi sécher un corbeau mort. Allez savoir pourquoi, on ne discute pas les rites locaux.
On reste bien une bonne grosse demi-heure à virevolter, s’extasier sur ce fjord-île qui nous fait face, sur la lumière qui vient taper les montagnes, sur le bruit des bateaux qui gîtent, ou encore sur l’odeur du poisson qui sèche dans la petite usine de transformation.
Kamøyvær est vraiment un mignon petit détour qu’on aurait regretté de ne pas avoir fait. Nous reprenons la route, non sans repérer quelques emplacements propices à l’observation des aurores boréales, et rejoignons notre lit douillet dans l’auberge de jeunesse d’Honningsvåg.
Nous sommes éreintés. Sans doute la pression du quotidien qui redescend, associée au vent qui vous casse un homme et à la chaleur du chauffage. Nous avons quelques difficultés à garder les yeux ouverts.
Dehors, après une rapide inspection, une aurore s’est mise en mouvement, observable décemment malgré les lumières de la ville, c’est peut-être le signe annonciateur d’une belle nuit à venir…malgré le vent.
Après manger, on a tenté de monter, reprendre la route et aller se poser sur l’un des trois spots repérés en amont. Le plus proche se trouve dans un col, une montée, surplombant Honningsvåg. Sauf que voilà, le vent fait rage, les congères compliquent la conduite, et les monceaux de neige soulevés par le vent, rendent parfois la visibilité proche de zéro, on ne sait plus comment discerner la route. On sort pour tout de même déclencher des photos tests, histoire de se rendre compte que oui, il y a bien quelques traces dans le ciel.
En plein, vent, le visage grêlé par les cristaux charriés par le vent, on prend le temps de faire le bon choix. Et c’est une fois décidés à aller voir plus loin, que le vent se gâte et qu’on se voit obligés de faire demi-tour tant qu’il était encore temps.
On a déjà vu des aurores, pas plus tard que la veille, il ne sert à rien de tenter le diable, on décide sagement de rebrousser chemin pour rentrer.
Le temps d’un dernier bol d’air, comme pour nous narguer, nous apercevons quelques aurores, discernables en pleine ville, danser sobrement dans le ciel. Il faut parfois savoir raison garder.
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