Il est de ses journées blanches comme j’aime à les appeler. Y’en a toujours une en voyage, une journée à rouler, avancer, sans trop de photos pour plein de raisons diverses et variées.
Aujourd’hui, du fait de la combinaison des dates, du manque d’hébergements et d’autres choses, on a une grosse étape. Pas loin de 190 kilomètres. Au final, on en fera 300, tout pile.
L’idée c’est de relier Mehamn à Polmak, le long de la rivière Tana et de la frontière finlandaise.
Nous nous levons donc à Mehamn, et découvrons par la même occasion à quoi ressemble le port de jour. Ici c’est le festival des oiseaux, un vrai ballet, un vrai concert. Cormorans, corneilles et mouettes s’en donnent à plein poumons. Dehors l’odeur a un parfum d’iode, c’est con à dire, mais c’est la première fois qu’on sent la mer, la marée, l’iode, la vase, et pourtant on a croisé plus d’un port, roulé le long de plus d’un fjord, mais c’est ici à Mehamn que la mer semble prendre tout son sens.
Dehors le ciel est bouché, une fine ligne d’horizon laisse filtrer le timide lever de soleil, en dehors de ça, rien, du blanc qui caresse des cieux aux tons gris et aux reflets bleutés.
On essaye de se prendre un café avant de prendre la route. Manque de bol, la superette n’ouvre que dans une heure et on manque de courage pour attendre, alors on file, on prend la route direction le sud, plein sud.
Le village laissé derrière, nous attaquons un paysage désolé de viidà, une immense toundra blanche, immaculée, presque irréelle. Rien ne vient troubler ces reliefs hormis de temps à autre des enclos pour le tri des rennes. Ici nous sommes dans le Sapmi, la terre des Samis, l’endroit de leur territoire où la concentration est la plus forte.
Malheureusement, allez savoir pourquoi, cette lumière rasante, fortement blanche, ne rend rien du tout en photo. Alors on ouvre les yeux en grand, on profite, on déguste, on emmagasine, mais on ne shoote pas. De temps en temps ça fait du bien, de n’avoir le paysage que pour soi, sans se mettre la pression des photos à prendre. Juste ouvrir les yeux et kiffer.
On a pris la décision de ne pas aller à Kjøllefjord, la finnkirka que l’on voulait voir n’est accessible que par une rando – et encore – qui n’est sans doute pas praticable en hiver.
Au lieu de ça, on tente de virer plein est, direction Skjånes et le bout du fjord du Hopsfjorden, comme ça juste pour voir. 50 bornes aller-retour avec au bout, peut-être un café, qui sait.
La route qui longe le fjord a une allure désolée, mais allez savoir pourquoi, elle a un certain charme, propre aux routes qui serpentent le long des montagnes, amenant ainsi mille questions : Ça donne quoi de vivre ici à l’année ? Pourquoi ici et pas ailleurs ?
Arrivé au début de la route, à quelques centaines de mètres d’un monument, j’avise une épave abandonnée au bout du bout du fjord. Je suis sûr que c’est celle que j’ai repérée sur mes recherches en amont mais que je n’avais pas réussi à situer.
Elle trône là, sur le flanc, comme une baleine échouée, nous rappelant indubitablement les épaves de Marie-Joseph en Nouvelle-Ecosse. Vestige d’un temps passé, reflet d’une histoire, d’une anecdote dont on ne saura jamais vraiment les détails.
J’aime ces épaves pour tout l’imaginaire qu’elles véhiculent, alors en la photographiant, en l’immortalisant, je m’imagine pleins d’histoires sans queue ni tête.
Une coque, même pourrie, même réduite à l’état d’épave, sent toujours l’aventure.
Olivier de Kersauson
Je remonte la grève dans la poudreuse, prenant le temps de lire l’histoire de ce monument. Comme déjà évoqué les jours précédents, avant leur départ de Norvège, les Allemands durant la seconde guerre mondiale s’en sont donné à cœur joie, détruisant tout sur leur passage. Même ici, au fond d’un fjord désolé, ça n’a pas manqué. C’est carrément l’équipage d’un sous-marin, qui a assassiné 6 civils d’une balle dans le dos alors qu’ils défendaient leurs terres, leurs familles. Les derniers norvégiens tués, deux jours avant que l’Allemagne ne capitule. Putain de guerre.
Skjånes, au bout du fjord, quelques maisons, du poisson qui sèche, un petit port et un supérette-café qui ouvre…dans une heure. Décidément, nous manquons cruellement de chance aujourd’hui.
Nous rebroussons chemin, sous un soleil toujours voilé qui peine à percer les nuages, mais ce n’est pas grave, il a donné les jours précédents et ne pouvons guère nous plaindre sur la météo.
Alors que nous rejoignons la route principale, celle-ci se met à grimper à l’assaut des montagnes, nous donnant la vague impression d’être sur un manège, peut-être le plus beau d’entre tous.
On se fait la réflexion, qu’on a beau connaître relativement bien la partie Nord de la Norvège, celle ci est assurément la plus belle d’entre toute. Sauvage, rude, nous offrant la plus sublime de ses facettes bien loin du monde et de l’affluence. Une beauté qui se mérite autant qu’elle se respecte.
Passé Kalak, nous stoppons pour admirer la vue depuis les hauteurs de la route. Dans notre dos, une grosse chaîne de montagne toute douce, et devant nous, des reliefs abrupts, bombés, déchirés sans réelle organisation.
On en profite pour faire les cons, relâcher la pression, les kilomètres commencent à me peser dans les bras et j’ai clairement besoin de souffler.
La suite de la route se déroule sans encombre, si ce n’est qu’au fur et à mesure que nous nous rapprochons de Ilfjord, nous croisons de plus en plus de voitures, de camions, nous sortons clairement des communautés isolées et ça se ressent.
Par contre, la route qui traverse le Ilfjordfjellet elle est une ode à la beauté. Ici, vous avez l’impression d’être sur le toit du monde. La route se confond avec les montagnes, tout est blanc. Blanc à en crever, blanc à en chercher des nuances tellement c’est la couleur dominante. Blanc à en tomber amoureux. Le viidà, la toundra dans ce qu’elle a de plus pur, de plus beau.
Battus par les vents, nous êtres humains ne sommes rien ou presque. Un élément parmi tant d’autres. Le thermomètre lui décide de chuter vers le bas, nous sommes passés de -7°c le matin même, à -14°c, notre record jusqu’à présent. Les poils de nez se frisent, la moustache se gèle, se couvrir devient un reflex de survie, rien de plus.
C’est là qu’on décide de se poser pour manger, au soleil, là où il pointe le bout de son nez pour réchauffer un tantinet nos vieux os.
La lumière rasante est sublime, laissant sans mots, sans voix, sans rien. Profiter, admirer deviennent des mantras. Seule la route vient perturber cet isolat.
Nous traversons donc le Ilfjordfjellet pour arriver dans les environs de Ruostefielbma. Ca y est les noms aussi changent de visage, le sami a pris le dessus sur la toponymie, les panneaux sont désormais dans les deux langues et NRK Sapmi nous diffuse des joik à l’intérieur de notre cocon roulant.
Un plein d’essence, un café et nous longeons la rivière Tana. Comment le dire simplement… Cette portion de route, n’a strictement aucun intérêt. La route glacée tire en ligne droite, il faut juste avoir les mains bien accrochées au volant, tant les traces gelées peuvent vous faire chavirer la bagnole, hormis ça, on n’y a pas trouvé un grand intérêt à cette portion.
Du monde sur la route et un paysage qui laisse dubitatif plus tard, nous sommes déjà à Tana Bru. On s’arrête de nouveau, on se reprend un café, calés au fond des tables de la station-service. Au milieu du présentoir à journaux, entre les quotidiens nationaux, le canard sami, Ávvir et un autre magazine en langue same du nord.
On boit, on regarde le gens passer, les gens rentrer, faire leur loto, manger un bout, et avisant les locaux d’une sous-division de la radio national sami – NRK Sami – on décide d’aller voir. Cécile travaillant en radio, on se dit que ça peut être sympa de jeter un œil et de discuter sur leur manière de travailler. Manque de chance, personne. Les locaux sont calés dans un couloir de la bibliothèque et personne derrière la console.
Alors on reprend la route, droite, toujours droite, on passe notre hébergement, on pousse jusqu’à la frontière finlandaise, comme ça juste pour voir, comme un avant-goût de ce qui nous attend.
Nurogam nous tend les bras, et on a encore du temps devant nous pour checker un éventuel spot à aurores boréales, même si les nuages au-dessus de nous ne nous laissent aucun espoir pour ce soir.
On avise un petit chemin, une mini route en cul-de-sac, direction le lac de Buolbmatjavri.
Ici aussi tout est blanc, à peine perturbé par quelques carcasses de bouleaux qui attendent le printemps pour renaître.
Le soleil se couche, le froid est pinçant, et les seuls êtres vivants que nous rencontrons sont des galopèdes, ces oiseaux blancs au bout de queue noir, typique des régions polaires.
On se dit que le spot est aux petits oignons, y’a plus qu’à. Mais vu le coucher de soleil, c’est très mal barré.
Alors, on fait marche arrière, direction notre petite cabine à Polmak où nous passerons deux nuits. Andreas nous attend, nous accueille dans notre petite cabine surchauffée, le poêle tournant à plein régime. -12°c dehors, 29° dedans.
On s’affale, on se liquéfie. Dégustant une bière norvégienne – une Mack Haakon – je bouquine un livre des années 90, édité par le Nordic Saami Institute, expliquant l’histoire du peuple Sami.
De la saine lecture en somme.
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