C’est sous un fin manteau neigeux que nous émergeons ce matin. Des fines perles mousseuses, pas plus d’un ou deux centimètres et pas collant pour un sous.
Aujourd’hui nous mettons cap sur Bugøynes. On change de territoire, on change presque de langue, nous partons en territoire Kvènes.
Nous remontons la rivière Tana sur une quinzaine de kilomètres pour ensuite bifurquer plein est en direction de Varangerbotn. Au début, la route serpente au beau milieu des plaines battues par les vents, parfois au loin nous apercevons quelques maisons, petites communautés jetées là au gré du vent. Parfois, souvent même, les images qui nous sont donnés à voir nous rappellent des instantanés de la Nouvelle-Ecosse, au nord, sur Cape Breton, au tout début de la Cabot Trail.
Sans doute que les pays de pêcheurs ont souvent le même visage, des gens qui construisent une bicoque dans un coin à l’abris du vent, quelques dépendances, un rafiot ou deux mis en cale sèche et puis voilà le minimum vital.
Au fur et à mesure, la route se fait de plus en plus bosselée, nous épousons la forme des fjords, des petites montagnes, passant au milieu de cailloux découpés pour laisser place à la route et longeons de petites plages, d’où ne dépassent de la neige que quelques touffes herbeuses d’un blond de blé.
À Rissebakti, nous décidons d’aller voir la plage de plus près, histoire de prendre un peu l’air. Sous une fine pellicule de neige, émergent quelques cailloux de couleurs variées allant du rouge couleur brique, à des galets polis par des siècles de marées, striées par des ères glaciaires multiples, et au milieu de tout ça, des moules d’un bleu outre-mer.
Nous rebroussons chemin, sonnons la retraite face à des rafales de vents qui font baisser la température de -12°c à sans doute beaucoup plus, pas loin des -18°c assurément.
La route continue de se bosseler, nous montons, descendons, montons, descendons et ainsi de suite, l’occasion aussi de croiser nos premiers rennes sur le bord de la route. Cherchant la nourriture sous un fin manteau de glace, ils sont à la fraiche, le poil plissé par les vents.
Puis au bout d’une trentaine de kilomètres, vient Bugøynes. Et là, on sait tout de suite que ça va être un coup de cœur. Un coup de cœur historique car ce petit bled d’à peine 200 habitants a un vécu méconnu, une historie aux facettes multiples. Mais aussi un coup de cœur, tout simplement. La gueule des maisons, la tronche des rues, le visage de l’emplacement géographique.
Et surtout Bugøynes vit, presque plus qu’Honningsvåg. On y voit du monde qui se balade, qui bosse, qui se disent et vous disent bonjour, semble heureux de vivre, content d’être là, content d’appartenir à cette petite communauté.
Bugøynes est un village Kvènes. Les Kvènes c’est une minorité ethnique, des anciens paysans finlandais qui ont migré dans le nord de la Norvège pour s’y installer (Afin d’éviter toute erreur de ma part, je vous conseille, voir même vous oblige à la lecture de page Wikipedia anglaise sur le peuple Kvènes : https://en.wikipedia.org/wiki/Kven_people).
Depuis, installés dans diverses communautés, ils continuent de parler leur langue, un finnois qui aurait fauté avec du norvégien, mais une langue qui reste audible et compréhensible des finnois.
La Norvège ayant ratifié la charte européenne des langues minoritaires (jamais ratifiée en France) ici les panneaux sont d’abord en kvènes et ensuite en norvégien. Les gens parlent le kvènes – langue qui comme le Same, fût interdite d’être apprise ou parlée pendant des années – et en sont fiers. Il n’est pas rare de croiser des drapeaux finlandais dans les maisons, devant les boutiques.
Une histoire que l’on renie pas, et dont on est fier. Là aussi, ça nous rappelle un peu l’histoire et la fierté du peuple acadien.
Le village du Bugøynes est surnommé Lille Finland ou Little Finland, c’est dire si cette appartenance historique, ce passé est une fierté, un socle sur lequel s’est construit le village.
Les maisons basses de Bugøynes sont pleines de charme, nous déambulons dans les trois rues de la ville, passons l’église, et son cimetière qui fait office de champs de pousse pour une plante polaire – Le Polemonium boréale – qui ne pousse que ici, à cet endroit là dans toute la Scandinavie.
Nous poussons aussi jusqu’au port qui fait aussi office de chantier naval, admirer les coques à l’air libre, en cale sèche pour l’hiver, dans l’attente de quelconques rénovations.
Le ciel, toujours voilé nous donne à admirer une magnifique aquarelle où les gris se seraient mélangés avec du jaune, du orange, parfois une pointe de rose. Tout est diffus, dilué, presque impalpable.
Nous sommes aussi dans la capitale du King Crab, ce crabe géant, qui vit dans les eaux extrêmement froides des océans et des mers du nord. Pouvant peser jusqu’à 10 kilos avec des pates d’une envergure à faire pâlir un albatros.
Par chance, il y a un restaurant-bistro-poste-banque-café qui est ouvert, on décide d’aller voir. À la vue de la carte à l’extérieur, les prix ne sont pas donnés, mais vu qu’on tourne avec des sandwichs fait maison tous les midis, on peut bien s’octroyer un petit plaisir de temps en temps.
À la carte on à le choix entre un bœuf strogonoff un peu spécial, puisque le bœuf est remplacé par de la baleine et du renne, enfin du cœur de renne, et la fameuse assiette de King Crab.
On prendra ça chef, deux assiettes. Passe une bonne demi-heure avant que l’on nous serve une assiette avec des pinces de King Crab, une patate au four, un petit fish cake de haddock, du colin frit, un peu de saumon, j’en passe et des meilleurs.
C’est très bon, extrêmement bon, seul petit point négatif, il y a beaucoup d’ail, ça vient tuer le goût et nous donne la vague impression que la digestion va être aussi longue que la route qui nous a mené jusqu’ici.
Mais voilà, nous avons mangé notre King Crab, c’est bon c’est fin, presque autant que du homard ou de l’excellente langoustine. On ressort repus et le portefeuille plus léger de 620 NOK (environ 70€ pour deux). Il nous faut bien une petite promenade digestive pour que les -8°c viennent bruler toutes nos calories.
La journée passe vite, on n’a bien passé pas loin de 2 ou 3 heures à Bugøynes et on ne le regrette pas du tout. Ce petit village oublié des guides parfois même des cartes méritent plus qu’un détour. Il mérite qu’on s’y intéresse, qu’on y comprenne son histoire, qu’on s’y pose pour étudier, comprendre sans jamais juger et surtout admirer la beauté des lieux qui à, parfois des allures de villages groenlandais.
La route dans l’autre sens nous paraît presque triste tant nous avons l’impression d’avoir laisser un bout de nous même dans ce village de pêcheurs. Fort heureusement, quelques rennes par ci, par là et un magnifique renard qui pointera le bout de son museau au-dessus d’un rocher, rendront le retour plus appréciable.
Nous revenons donc chez notre hôte, que nous dérangeons en plein championnat du monde de ski, pour qu’il nous donne quelques buches. Nous ouvrons une cannette de Nord Lys, une bière Mack aux allures d’aurores boréales pour appeler les cieux à nous pousser les nuages loin afin que l’on puisse profiter du spectacle.
Le feu nous réchauffe, la soupe est en train de chauffer, on n’est pas trop mal à Polmak.
À la faveur d’un réconfortant café que je sirote dehors, nous remarquons derrière notre chalet, au-dessus de nous mais derrière les nuages des trainées dans le ciel qui ne trompent pas nos yeux (qui sont, depuis le temps) aiguisés. Elles semblent être plutôt fortes et les prévisions commencent à monter dans les tours.
On tente le tout pour le tout, en décidant d’embarquer, de traverser de nouveau la frontière finlandaise et de bifurquer vers Buolbmatjavri, la route que nous avions repérée la veille. Sauf que voilà, ici, la neige semble être encore plus présente, la petite route qui s’enfonce n’est pas dégagée.
À pas de loups, nous nous enfonçons en voiture dans une sorte de no man’s land, et tentons de retrouver l’endroit où nous nous étions arrêtés la veille en fin d’après-midi.
On stoppe la voiture, on sort, scrutant le ciel, mais rien. Au fur et à mesure de notre attente, on discerne de nouveau l’étoile polaire, mais cachée derrière les nuages. Et puis des petites lueurs se mettent à illuminer les nuages. Elles sont loin derrière mais elles sont là.
Vu l’épaisseur nuageuse, on ne se fait franchement pas d’illusions, le grand show – autour de 4kp – ne sera clairement pas pour nous ce soir.
Clairement, je suis frustré, mais c’est comme ça, on arrive à vivre avec, ça fait partie de la chasse. Nous restons pas loin d’une heure, par –15°c à scruter le ciel, se rendant compte que les aurores sont drôles ce soir. Elles partent à l’ouest pour mourir à l’est, et puis hop, dans l’autre sens, et ainsi de suite à un rythme assez varié.
Nous rebroussons chemin, dehors il neige toujours, nous avons passé la barre des 1000 kms et c’est la 4e fois que nous passons la frontière.
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