L’oiseau de Tor Bay
L’oiseau de Tor Bay
Après une nuit tumultueuse faite de rafales de vent et de pluie très forte, nous émergeons les yeux un peu collés par la fatigue et par le manque de sommeil. Dehors la pluie a cessé, le vent aussi et un magnifique lever de soleil se profile au dessus de Tor Bay et de l’océan Atlantique. Je m’habille et fais ma toilette en vitesse pour ne pas manquer ça. Mais le soleil va plus vite que moi, et le spectacle du soleil coincé entre les nuages et l’horizon est presque déjà terminé.
Ce n’est pas bien grave, cela baigne les marais de Tor Bay d’une lumière dorée de toute beauté. Passé le petit déjeuner, le rangement et le séchage de nos citrouilles, nous décidons de prendre le temps de nous promener le long du boardwalk qui serpente dans la forêt et mène jusqu’à la mer.
Depuis quelques kilomètres déjà, nous nous rendons compte que l’automne laisse déjà la place à l’hiver, que les couleurs rouge, jaune et orange disparaissent petit à petit, et les arbres se dénudent laissant sur leur squelette une épaisse couche de lichen. La promenade nous fait dépasser les petites baraques pour se changer l’été, des tables de pique-nique avec vue et d’autres joyeusetés de la sorte qui nous amènent à la réflexion que, les Parcs Nationaux du Canada, de tout type qu’ils soient, sont vraiment bien aménagés pour amener des facilités.
La plage est envahie de puces des sables, alors nous reprenons la promenade de bois pour continuer notre promenade. Il fait presque chaud au soleil et poussons jusqu’à l’extrémité où nous admirons les vagues s’écraser sur les rochers. Il n’y a pas à dire mais Tor Bay, c’est loin d’être laid.
Nous reprenons la route direction Isaac Harbour où un petit ferry nous évite une boucle de plus d’une soixantaine de kilomètres. Sur notre chemin, nous constatons que les routes de Nouvelle-Écosse sont vraiment une catastrophe. Dans une file il y a parfois des saignées de plusieurs dizaines de centimètres de large, et d’à peu près la même profondeur, quand la chaussée ne s’est pas écroulée par endroits, faisant d’une différence de niveau de plus de 20cm.
Les locaux roulent à fond, moi je roule beaucoup moins vite, évitant ainsi le roulis et une éventuelle détérioration du véhicule. Arrivés à la bifurcation du ferry, nous regardons l’heure : 9h55. Les départs du ferry dans notre sens, se font à heure pile, alors j’enquille ou tout du moins je fais ce que je peux sur cette route déglinguée. Et manque de pot, nous le loupons, le voyant avancer sur Isaac Harbour.
Nous voilà donc, comme cette fois dans les Alpes du Lyngen en Norvège, à devoir attendre seuls, une heure, au milieu de nulle part. Nous prenons notre mal en patience, écoutons la radio, prenant le soleil et l’air frais de temps en temps, faisant quelques photos à l’occasion.
Une fois cette heure passée, nous embarquons ainsi que 3 ou 4 autres voitures nous ayant rejoint. La traversée dure 3 minutes et coûte le même prix que notre précédent ferry, à savoir 7$.
Nous passons Indian Harbour Lake, Jordanville, où nous nous arrêtons prendre en photo un vieux pont tout rouillé passant au dessus d’une rivière. Et nous voilà rendus à Sherbrooke, grosse communauté du coin, petite ville mignonne où nous en profitons pour faire le plein d’essence.
Je discute avec le pompiste, il me dit que c’est sans doute la meilleure période pour découvrir la région, que les étés sont très humides et plein de monde. Trop de monde à son goût. Il m’explique même que sur l’ïle du Prince Edward (qui reçu d’ailleurs la visite le lendemain de ce jour, du Prince Edward, frère de la Reine Elisabeth), l’été, les voitures roulent cul à cul, et que ce n’est vraiment pas agréable. Je lui parle de l’hiver, il me dit que ça va, même avec « 6 feet of snow » (?), ça reste super beau et super agréable. Une fois payé, et me souhaitant une bonne fin de voyage, nous passons à la poste de Sherbrooke, vestige du 19ème siècle, posté nos dernières cartes postales.
Et nous allons voir Sherbrooke Village, une village reconstruit où, durant l’été on peut revivre l’atmosphère de la ville au 19ème. Forcément hors saison, personne, mais ça reste gratuit et on peut donc se promener dans les artères. On ne comprend pas bien, mais visiblement, ils sont en pleine préparation de Noël. On pense que le village sert aussi de marché de Noël, ou de lieu pour les festivités. Accompagnés de Sherbrooke – nous l’avons nommé ainsi -, un chat errant qui prenait le soleil devant le magasin de souvenirs, et qui n’est pas avare de papouilles, nous suit partout où nous allons.
Sherbrooke Village, un peu comme Louisbourg, l’été se pare de comédiens en costume qui font revivre la vie quotidienne de ce village qui vivant essentiellement de la construction de navires, de l’exploitation des forets et des mines d’or alentours.
Je prends quelques photos des anciennes devantures en bois, des vieilles enseignes, des décorations de Noël jetées au sol en attendant d’être installées, et nous décidons de manger sur le parking du musée, faute de mieux. Entre temps, nous avons perdu Sherbrooke qui nous a quitté au profit d’une petite dame qui installait des décos dans une maison. Ingrat !
Nous laissons Sherbrooke derrière nous, passons Liscomb et Spanish Ship Bay et ses petites îles.
Puis vient la communauté de Marie Joseph. Comment dire. Nous avons l’impression d’avoir stoppé le temps et d’être dans un autre monde. Aucune des maisons que nous croisons ne semble habitée. Nous passons un restaurant abandonné, et au détour d’un virage, tombons sur une immense carcasse d’un bateau échoué dans le port. Cette énorme masse rouillée, amarrée tant bien que mal au port, vibre, grince et continue de rouiller un peu plus à chaque saison.
Il a fallu débroussailler internet pour trouver quelques infos et je suis finalement tombé sur un papier du The Chronicle Herald. Cette coque de noix rouillée, c’est le CCGS Tupper, un ancien brise-glace de 1358 tonnes. Bon l’histoire est un chouilla complexe. En gros, Clem Fleet – un doux dingue – a racheté en 2011 ce bloc de ferraille de 70m de long, l’a remorqué d’Halifax jusqu’au petit port de Marie Joseph. Clem Fleet a alors commencé les travaux de démantèlement avec une vieille grue, puis d’un coup a reçu des ordres lui demandant de stopper les travaux, tout simplement parce que le Tupper est bourré d’amiante.
Second problème, la municipalité de 13 âmes, n’a pas les fonds nécessaires pour déplacer ou remorquer le navire et Clem commence à avoir les poches vides. Avec son partenaire, il prend des cours de conducteur de grue pour faire soit le même le travail et son partenaire lui est en passe d’être accrédité pour manipuler les matières dangereuses. Sauf que ce bon vieux Fleet est un drôle de gus, un vieux de loup de mer des familles, sans le sou et voyant dans ce gros tas de ferraille un bon moyen de se faire un peu de dollars, a eu les yeux plus gros que le ventre. En attendant il espère pouvoir reprendre le démantèlement du Tupper le plus rapidement possible.
C’est moche, enfin ce n’est généralement pas ce qu’on attend de voir dans un voyage mais j’aime bien. Dehors, aucune voiture, un silence de mort, la vie semble avoir quitté la ville. Des anciens bateaux de bois sont abandonnés le long des berges, une coque éventrée par ici, le magasin communautaire laissé à l’abandon par là. L’ambiance est glaçante, mais personnellement, je lui trouve un truc à cette ambiance.
Un truc indescriptible, une ambiance qui vous saute à la gorge et vous donne à voir à quoi ressemble une communauté de pécheurs, quand les quotas vous enlèvent votre raison de vivre, et votre gagne-pain. C’est sûr, Marie Joseph nous laisse un je-ne-sais-quoi flotter dans notre tête. Une faille spatio-temporelle qu’on vous dit.
Nous laissons derrière nous cette ville fantôme, passons Ecum Secum, Necum Teuch, Moser River, où nous nous arrêtons prendre un café dans le Convenience Store, et où nous discutons un brin avec la vendeuse avec qui nous philosophons sur les atmosphères de fin de voyage.
Arriver à Port Dufferin, nous nous posons près de l’église profiter du début de ce qui s’annonce comme un magnifique coucher de soleil. Nous prenons l’ambiance des petits chalets posés sur l’eau juste en face d’un motel fermé et je prends en photo mon je-ne-sais-combientième bateau mis en cale sèche pour l’hiver. Les couleurs et la lumière sont magnifiques.
Au loin, un nuage massif semble absorber toutes les lumières rosées du soleil. C’est ce que nous remarquons quand nous poussons sur la route en cul-de-sac de Mushaboom.
Nous apercevons derrière la forêt, les nuages ondulant, un peu grisâtres, semblables à des nuages d’orage, teindre en rose leur ventre rondouillard. La baie de Mushaboom et ses petits confettis d’îlots, ces nuages massifs et cette lumière, en font un moment magique.
Nous avons prévu de tenter de dormir dans le Provincial Park de Taylor Head. Nous avons bien conscience qu’il est habituellement interdit d’y dormir, les panneaux No Camping ne manquent pas de nous le rappeler. Mais nous le faisons quand même, car tous les campings sont fermés, ces signes s’adressent surtout aux touristes estivaux, et quand on voit les déchets laissés parfois par les simples marcheurs, nous qui faisons attention à ne laisser aucun déchet derrière nous, on enfreint la règle.
Sur les 5kms qui partent de la route principale jusqu’à la pointe de Taylor Head, le soleil a décidé d’envoyer la sauce. La puissance de l’astre solaire ressemble à celle que nous avions pu voir juste avant d’arriver à Myvatn, en Islande.
Le nuage bas s’est lissé, les rais de lumière sont magnifiquement étalés sur ce dernier et le soleil est tellement luisant, que la moindre petite vaguelette se gorge elle aussi de tons rose et orange. C’est indécent tellement c’est beau. Assurément un de mes plus beaux couchers de soleil.
Nous avalons les derniers petits kilomètres et décidons de nous poser sur cette immense parking, entouré d’une forêt et protégés du vent. Nous marchons, faisons quelques pas pour tomber nez à nez devant un très gros lapin, pas très farouche, que nous dérangeons en plein souper.
Les panneaux des chemins de randonnées de Taylor’s Head nous font savoir qu’il y a beaucoup à faire. Nous, nous décidons juste d’aller voir jusqu’à la mer. Dans le ciel, le soleil est tombé derrière la forêt, seul un nuage menaçant se trouve au-dessus de nous.
Un peu plus tard, nous ressortirons admirer la voie lactée à l’œil nu, et pour la première fois de ce voyage, j’arrive à la prendre en photo avant que les nuages se mettent à me la cacher.
La fin du voyage approche, Halifax n’a jamais été aussi proche, et dans nos têtes nous n’avons aucune envie de rentrer.
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