15 Sep Avis de tempête sur Gorramendi
Gorramendi |
Gorramendi mendilerroa–43°13’07″N – 1°25’48″W |
Suggestion d’accompagnement sonore :
Jon Denver with Fat City – Take Me Home, Country Roads
(RCA Victor – 1971)
Classique de la Country Music, directement propulsé à la 2e place du classement Billboard Hot 100. Jon Denver y chante l’amour de son pays, de ses paysages, des endroits où il se sent bien.
Le Pays Basque est et restera pour moi comme une zone de repli. Quand la vie s’accélère, que j’en perds le fil, quand mes pieds se dérobent m’empêchant d’avancer c’est vers là que j’accours, que je fuis, que je m’enfuis. C’est ma zone de confort, ma Panic Room, en arpenter ses routes reculées me fait me sentir chez moi.
Et là au début de l’été, j’avais clairement perdu le fil d’une année compliquée faite de hauts et de bas, faite de tartes dans la gueule comme seule la vie est capable d’en infliger quand bon lui chante. Alors on a grimpé dans Lily, on a bouffé les bornes, avalé le bitume dans un ronronnement sourd mais devenu depuis, assez réconfortant et on a terminé là où il fallait, au moment où il fallait.
Depuis notre escapade bucolique dans les Vosges, voyager avec Lily est devenu plus facile, moins prise de tête, on s’arrête quand on veut, on prend la route quand on le veut. Là, pour Cécile le timing était un peu serré et malgré quelques obligations et impondérables on ressentait comme un besoin de nouveau, de filer en montagne pour passer de nouveau une nuit sous les étoiles.
Bon les choses se sont un peu mal goupillées, au départ, on devait rejoindre des copains, partir en virée, aller prendre l’air, s’éloigner de l’humidité de la côte qui vous transforme le carrelage en patinoire et fait coller à la peau le moindre petit centimètre carré de coton. Mais, disons-le tout net, nous nous sommes fait lâchement abandonner.
Les guiboles commençaient à nous démanger, l’heure tournait et plus de nouvelles. On commence à charger couette et oreillers dans la voiture, à se préparer gentiment en se disant que ça va les faire venir. 15h pas de nouvelles. 16h pas de nouvelles. 17h on ferme les volets de la maison et on se tire en douce filant vers les montagnes.
Notre solution de facilité, c’est Gorramendi, on y avait déjà passé un réveillon sous les étoiles pour les lecteurs les plus assidus qui s’en souviennent et bien que la nuit avait été…catastrophique, on a tout de même décidé de retenter le coup. A peine nous nous étions engagés sur la piste qui quitte le Puerto Otsondo que le bigophone s’est mis à sonner. Et là, on a pigé. Une photo de doigts de pied en éventail, au bord d’une piscine bleu turquoise, un verre de cocktail à la main. L’appel du farniente et du bullage les arpions dans l’eau fraîche avait eu raison de leur motivation.
Itzulegi
(720 m)
–
Fort heureusement tout ça s’est réglé au téléphone, on a convenu de se donner rendez-vous le lendemain au Collado Inzuelgi pour continuer un petit bout de route ensemble. Nous pendant ce temps, nous avons continué de grimper Gorramakil, sa montée à plus de 20% et ses virages en épingles nous déposant au pied de la première antenne où des bergers taillaient une bavette sans se soucier de notre présence.
On a repris la route en quête d’un bon spot pour la nuit, sans retrouver celui sur lequel nous avions posé notre dévolu des années auparavant. Résultat on a terminé pas loin de la seconde antenne de Gorramendi, au beau milieu d’une piste boueuse d’un rouge brique, au milieu d’un fatras de débris de construction, perdu sur un plateau plat avec une vue panoramique à 360°.
Des débris, mais pourquoi donc des débris. Je l’avais expliqué il y a des années de ça, mais à Gorramendi il existe beaucoup de signes, d’indices, des marches, des morceaux de dalles en béton. J’ai mis des années avant de résoudre l’énigme. Des années à farfouiller sur le net, des heures à demander à droite, à gauche, à recouper les informations pour y découvrir enfin la véritable histoire digne d’un James Bond.
877 Squadron Warning Control W-6. C’est sous ce nom résolument barbare que se cache la clé du mystère. Pendant pas loin de 20 ans et ce jusqu’à sa destruction à la dynamite en 1974 – d’où l’amas de débris – trônait sur les hauteurs de Itzulegi (720 m), Gorramendi (1 071 m) et Gorramakil (1 086 m), une base américaine ultra-secrète dont l’objectif reste encore aujourd’hui entouré d’un grand mystère.
Tout ce que l’on peut en déduire, c’est que ces installations avaient un lien avec les communications à une époque où les satellites n’avaient pas encore leur place. L’accès y était interdit au public et seuls quelques civils du Baztan y travaillant savaient à peu de choses près ce qu’il s’y passait.
877 Squadron Warning Control W-6
(1 071 m)
–
Nous, nous avons dormi sur Gorramakil et comme l’atteste une vision satellite via Google Maps nous étions pile à l’endroit où trônaient les deux immenses antennes radar que l’on peut entre-apercevoir sur d’anciennes, et rares, photos. D’ici tout le trafic aérien européen était contrôlé le tout relié à Ramstein en Allemagne, où l’armée américaine possédait son siège de l’armée de l’air en Europe.
Et puis la Guerre Froide est passée, les installations sont devenues obsolètes, les bâtiments ont disparu, les antennes dynamitées et Gorramakil est devenu un cimetière d’une histoire obscure et mystérieuse et désormais c’est une station météo qui a remplacé les antennes radar.
Je me suis amusé à faire un petit montage de ce à quoi pouvait ressembler les anciens bâtiments dans ce paysage qui m’est familier.
Ça c’était pour la petite histoire. Nous nous sommes donc posés à quelques enjambées de la station météo, à côté d’une guérite en brique, face à l’océan, face à la Rhune. Tout allait bien, la température était douce mais venteuse, les brebis et les deux béliers au regard peu engageant gambadaient un peu plus bas et nous avons commencé à souffler, à prendre notre temps, à lâcher la pression et les emmerdes.
On a installé notre setup, sorti les fauteuils, décapsulé des bières – l’excellente Ternua de la brasserie Balea pour les plus curieux amateurs de houblon – et on a mis le temps en pause, appréciant chaque seconde du paysage qui se mouvait sous nos yeux.
Et puis sentant sans doute que l’heure de la ripaille ne devait plus être très loin, un pottok, puis deux, se sont radinés pour venir nous tenir compagnie. La mèche blonde au vent, se demandant d’abord qui nous étions, que venions nous faire sur leur territoire se sont mis à paître tranquillement autour de notre camp.
On a dégusté notre pitance devenant aussi rapidement froide que le vent se mis à se lever. Gorramakil, c’est un plateau plat, chauve, un genre de Col des Tempêtes du Mont Ventoux. C’est open bar pour les rafales et l’anémomètre de la station météo s’est mis à tournoyer aussi vite qu’un derviche tourneur en pleine cérémonie.
Après avoir convenu du point de rendez-vous avec les copains, on leur a fait coucou de loin, de la quarantaine de kilomètres qui, à vue de pif et à vol d’oiseau, nous séparait. Et tandis que le café peinant à monter, bien emmerdés par les rafales pleine bourre qui nous tombaient dessus, on a profité des derniers instants de cette douce lumière bleutée, teintée de rose. Le coucher de soleil nous ayant été volé au dernier moment par un gros nuage peu loquace venu tout droit du côté espagnol.
On a enquillé la vaissel….ok Cécile a enquillé la vaisselle, moi j’ai déambulé, appareil en main, shootant l’environnement et le spectacle de ce spot qui avait quand même bien de la gueule pour y passer la nuit. Pendant ce temps, le vent lui, avait décidé de s’énerver un peu, de tournoyer, faisant tomber nos sièges au premier rang d’une nuit pas encore complètement tombée.
De côté, il est venu tapé pleine bourre, par l’arrière, rendant la mise en place du lit assez épique, faisant gigoter les draps, claquer la couette. Les brebis sont passées dans un sens, sans doute en chemin pour leur chambre elles-aussi et nous, nous nous sommes barricadés à l’intérieur, sur le paddock, bouquinant le temps de quelques pages, faisant un peu passer le temps avant de sentir les paupières s’alourdir.
Comme la première nuit il y a bien des années, celle-ci fut pour moi, tout autant catastrophique. Dans la nuit, le vent a de nouveau tourné, le prenant perpendiculairement à la voiture, de mon côté. Étonnamment à l’intérieur nous avions trop chaud. Ajoutez à cela le bruit des rafales, tout un florilège d’autres bruits suspects, incertains, peu rassurants et résultat, j’ouvre les yeux bien content de voir les premiers rayons de soleil, la gueule froissée et les yeux aussi petits que des têtes d’épingles.
Autour de nous, les moutons et les béliers ont de nouveau pointé le bout de leurs cornes, nous encerclant dans une manœuvre propre à la meilleure des stratégies militaires. Chacun dans son coin, savourant son petit déjeuner.
Nous redescendrons assez vite de Gorramakil, rejoignant notre waypoint de rendez-vous à Itzulegi, où l’on espérait être un peu plus cachés du vent. Nos amis, nous les attendrons en bouquinant face au soleil. Et quelques heures plus tard, installés au soleil, nous dégusterons dans une ambiance propre au meilleur des souvenirs, un brunch haut en couleurs et puis gentiment nous reprendrons la route, roue dans roue, vers d’autres routes, d’autres pistes, d’autres anecdotes.
Anita
Posted at 17:49h, 15 septembreBeau récital et des photos qui transportent. Merci ,
retourdumonde
Posted at 18:14h, 16 septembreMerci Anita!
Marie Grenier
Posted at 17:29h, 16 septembreToujours aussi chouette, vos récits… sans parler des photos, superbes. Et je fais partie de ceux qui se rappellent l’autre nuit, il y a bien longtemps (ce qui ne nous rajeunit pas). Merci !
retourdumonde
Posted at 18:18h, 16 septembreMerci Marie, c’est gentil de prendre le temps de laisser un petit commentaire. Et oui la première nuit était en 201….non, vous avez raison, contentons-nous de dire que c’était il y a bien longtemps ! Merci à vous !
Jach
Posted at 23:47h, 19 septembreSuperbe les gars ♥️
retourdumonde
Posted at 10:43h, 20 septembreMerci Jach ! <3