10 Sep Canfranc, une gare plus grande que le Titanic
« Plus grande que le Titanic ! » voilà ce que scandaient les publicités à l’ouverture de la gare de Canfranc. Un paquebot de pierre et de béton de plus de 240 mètres de long, orné de 365 fenêtres, une par jour, de 156 portes et perché à plus de 1000 mètres d’altitude. Canfranc, la majestueuse avait alors tout pour séduire, malgré une histoire des plus sombres. Visite interdite de la 2ème plus grande gare d’Europe, laissée à son triste sort depuis plus de 30 ans.
J’ai disséminé quelques photos à l’argentique que mon père avait fait à l’époque au Nikon F801, afin de pouvoir comparer avec maintenant.
Après le désert des Bardenas, on a quitté le monastère de Leyre et le Pays Basque, pour reprendre la route vers le dernier point d’orgue de ce mini road trip. La topographie de la route a alors changé, le paysage s’est fait de plus en plus enclavé, les montagnes se sont resserrées et puis après une bifurcation et quelques virages, nous étions enfin arrivés dans la petite ville de Canfranc, posée au fond d’une vallée à un jet de pierre du col du Somport, frontière entre la France et l’Espagne.
Cette gare a une histoire longue, sombre, compliquée. Mais imaginez un bâtiment gigantesque perdu au milieu de nulle part, coincé entre les montagnes et une forêt de pins qui fut plantée à l’époque de sa construction pour ralentir les éboulements et les coulées de neige. Imaginez une gare internationale inaugurée en grande pompe par Gaston Doumergue et Alphonse XII, un hôtel de luxe, un quai interminable, des escaliers de marbre, un buffet, un trafic continu. On prend même la gare de Prague en exemple pour le choix de la décoration des halls, avec boiseries, moulures. Aujourd’hui tout ça n’existe plus, seul un TER espagnol assure une liaison entre Canfranc et Saragosse deux fois par jour. Les quais sont vides, la verrière démontée, les fenêtres condamnées, les escaliers s’écroulent.
Nous avions découvert cette gare quand j’étais minot il y a plus d’une vingtaine d’années (le petit bout d’cul au milieu de la photo c’est moi). Intrigué par son histoire et par son faste. Son histoire parlons-en justement.
Construite au début du XXème siècle, l’Espagne pense Canfranc comme un fleuron de modernité, un exemple. On détourne le Rio Aragon, on dégage 18 hectares de terre, on creuse 16 tunnels et 5 viaducs. Canfranc a alors pour vocation de devenir LA gare internationale ouvrant les Pyrénées au trafic de voyageurs et de marchandises.
Suite à une histoire d’égo, l’écartement des voies en France et en Espagne se trouve être différent (ce qui nuira grandement à l’activité de la gare), Canfranc devient donc un terminus obligatoire, où chacun des deux pays possède son propre quai de chaque côté du bâtiment. Inaugurée juste avant la crise économique mondiale de 1929, la sauce ne prend pas vraiment, ou plutôt n’a pas vraiment le temps de prendre. Viendra ensuite la guerre civile espagnole, et la seconde guerre mondiale. Et c’est là que Canfranc va rentrer dans l’histoire pour une bien sombre raison.
Tout d’abord la gare est occupée par les Allemands, histoire d’empêcher les résistants de fuir vers l’Espagne. Mais Canfranc sera surtout pour l’Allemagne nazie, un formidable point de passage pour un vaste trafic d’or. Il faudra attendre les années 2000 pour que l’histoire soit révélée, après qu’un conducteur de TER, attendant de prendre son service trouvera un tas de vieux papiers, abandonnés au gré du vent, estampillés du logo du IIIème Reich. Jonathan Diaz mène alors son enquête, fouille, interroge, et révèle l’existence de ce trafic qui dura plus d’un an.
86 tonnes d’or ont ou auraient transité à Canfranc. De l’or nazi volé aux banques européennes et aux juifs qui servait principalement de monnaie d’échange entre l’Espagne et le Portugal, pour l’achat de Wolfram, nom allemand du tungstène, utilisé pour la fabrication d’armes et de canons.
L’histoire a éclaté au grand jour, et la RENFE, la SNCF espagnole, a même menacé Jonathan Diaz de procès, l’obligeant à rendre tout ces documents salis d’une histoire que l’on préfère garder secrète.
Aujourd’hui encore des doux dingues continuent de penser qu’un trésor se cache dans les environs de la gare de Canfranc. A la fin de la guerre, la vie de la gare reprend, la liaison entre Pau et Canfranc est rouverte, les tunnels sont déblayés, l’activité reprend jusqu’en 1970 date à laquelle un train de marchandise effectuera le grand saut depuis le pont de l’Estanguet, finissant sa course dans le gave après avoir glissé sur les rails givrés. Cet accident, que certains disent « voulu » par la SNCF voulant à tout prix fermer cette liaison qui s’avérait être un gouffre financier, sonnera le glas de la gare de Canfranc. Côté français du moins.
De nos jours la gare de Canfranc, est ouverte aux quatre vents, rien n’a vraiment changé depuis 20 ans, si ce n’est que les herbes folles ne cessent de prendre l’ascendant sur les wagons laissés à l’abandon. Il n’y a qu’à voir sur les photos ci-dessous, la différence de végétation. Les wagons en bois s’écroulent, ceux en métal ne sont pas épargnés par la rouille, les planchers s’effondrent.
Maintenant il est impossible de monter sur les quais, l’ensemble de la gare est entourée de barrières, des caméras à chaque coin sont censées dissuader les rodeurs. Tout ça est en place depuis 2008, lorsque la toiture de la gare fut entièrement refaite, en prévision de transformer Canfranc en un hôtel de luxe… Mais être là, au bout de notre voyage, à quelques pas à peine des wagons abandonnés, ne me dissuade pas du tout de traverser les voies. Je veux montrer ça à Cécile, et je veux surtout revoir ce lieu complètement dingue.
Un coup d’œil à droite, un coup à gauche. Personne sur le quai. On fait attention à ce que personne ne nous voie, pour ne pas avoir à subir un effet « troupeau ». On descend le quai, traverse les voies. On sursaute quand on entend les cailloux crisser, on a le cœur qui s’emballe lorsqu’un train de marchandise freine pour se garer sous un silo à grain. Le palpitant est à plein régime, l’adrénaline fait que nos sens sont en éveil, et au détour d’un bâtiment, voilà enfin les wagons.
Alignés sur plus d’une centaine de mètres, dévorés par une végétation jamais rassasiée, ils sont les vestiges du faste de Canfranc, ceux qu’on devait à l’époque envoyer au musée des chemins de fer de Madrid. Le chemin se fait en suivant le ballast, en regardant les détails de pièces rouillées, en décryptant les indications marquées sur les wagons, en s’émerveillant parfois sur les dégradés que fait la rouille mélangée à la peinture. Les plafonds s’écaillent, les portes se cassent la gueule, les parois se sont recouvertes de graffiti au fur et à mesure des années.
Même si la vue est magnifique, le temps est presque trop beau pour cadrer avec cette atmosphère de mélancolie. On aperçoit des anciens wagons lits, je reconnais même certains wagons que j’avais vu petit. On remonte les voies, silencieux, dans une attitude presque monacale, pour ne pas se faire repérer d’une part, mais surtout parce que l’atmosphère laisse sans voix.
On arrive alors jusqu’à d’anciens quais. Les fils électriques pendouillent, le tableau du disjoncteur est laissé à l’air libre, la toiture menace de s’effondrer. Seuls les escaliers s’engouffrant dans les sous sols de la gare semblent avoir conservé un minimum de gueule. On continue vers les derniers wagons alors qu’au loin on entend la guide espagnole faire une visite, venant rompre la symphonie des bruits flippants, propres à l’Urbex.
On rebrousse chemin, on remonte les voies, on remarque que dans les bâtiments attenants, croupissent encore des wagons, encore et encore. Lorsqu’on remonte sur le quai, on retrouve le brouhaha des touristes qui finissent de nous sortir de notre bulle. On admire une dernière fois la façade de la gare, regrettant vraiment de ne pas pouvoir la montrer à Cécile, sous le même jour que nous l’avions vue à l’époque, avec la verrière, les panneaux de villes, la grande horloge.
Visiter Canfranc, c’est une expérience en soi, c’est un saut dans le temps. Je sais que j’y retournerais à différentes saisons de l’année, plus tôt dans la journée. Pour s’y enfoncer encore plus, découvrir des choses nouvelles, des bâtiments nouveaux, des points de vue différents. Ce paquebot plein de mystère colle à la peau. Qui sait encore combien de temps pourra-t-on se perdre dans ce labyrinthe. On parle encore, pour la énième fois de rouvrir la ligne à nouveau…
P.S. : Comme pour les Bardenas, on vous prépare une petite vidéo histoire de vous imprégner de l’ambiance du lieu. Mais pour ça, il va falloir attendre un peu.
LadyMilonguera
Posted at 11:01h, 10 septembreIl doit y flotter une bien étrange atmosphère quand même… Et puis, quelle histoire !
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retourdumonde
Posted at 23:28h, 10 septembreEtrange, inquiétant et fascinant à la fois !
Marine
Posted at 12:27h, 10 septembreDécidément je ne me lasse pas de vos récits, cette histoire est fascinante.
retourdumonde
Posted at 23:28h, 10 septembreMerci ! En fait l’histoire de cette gare est assez dingue, il existe un roman et deux bouquins du même auteur sur toutes l’histoire du trafic d’or à Canfranc. Intéressant pour ceux qui aiment l’histoire. 😉
LaRoux
Posted at 13:27h, 10 septembreon ne se rend pas du tout compte de la longueur sur les photos, enfin moi en tout cas je n’arrive pas trop à imaginer ..
Bonne idée, d’avoir ajouté les photos argentiques de ton père ; )
& Puis, toujours, ces très belles photos, avec ce regard particulier ..
retourdumonde
Posted at 23:27h, 10 septembreMalheureusement comme la gare est encaissée dans une vallée, il n’y a pas beaucoup de photos de la totalité de la gare, mais en cherchant un peu sur internet ça donne ça : http://www.komandokroketa.org/lecherines/T68-estacion-Canfranc.jpg
Merci beaucoup pour ce retour !
Curiosités à NY
Posted at 15:59h, 10 septembreJ’aime bcp les endroits abandonnés, ils ont un charme très particulier! Belle série!
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Isa
Posted at 08:23h, 12 septembreJ’y passe assez souvent à côté pour aller en Espagne , rien que la facade est super impressionnante …et puis cela me fait toujours bizarre de m’imaginer que la plus grande gare d’europe git ici , perdue dans les pyrénées …
Isa Articles récents..La mémoire de Belleville
Pingback:Canfranc | Pyrénées Libres
Posted at 19:34h, 13 septembre[…] La visite de Canfranc par Retourdumonde.fr […]
argone
Posted at 15:48h, 26 septembreC’est assez magique en effet ce lieu chargé d’histoire … merci de nous avoir fait visiter … c’est peut-être hanté ?!
retourdumonde
Posted at 22:36h, 30 septembreSurement même ! 😉
Jon
Posted at 20:45h, 11 septembreHola si esta historia te interésa te dejo un E mail para hablar : canfranc-estacion@hotmail.com
Asta pronto
Jon
elisa
Posted at 10:49h, 06 marsSavez vous qu’il est posible faire une visite avec guide à ce moment à Canfranc? Je viens de le savoir et ce samedi j’irais le visiter. Je vous laisse l’adresse web: http://www.canfranc.es/index.php
http://www.canfranc.es/descargas/visitas_estacion_canfranc.pdf
Elisa,
retourdumonde
Posted at 11:05h, 06 marsSalut Elisa,
L’été dernier, lorsque nous avons visité la gare, les visites étaient déjà possibles, mais tout était complet pour la journée. Du coup on a fait notre propre »visite » :-p ! On trouve simplement dommage que ce bâtiment ait été laissé à l’abandon pendant plus de 10 ans et que l’office de tourisme de la ville se réveille si tard, maintenant qu’une grande partie du bâtiment a été dégradée. La préservation du lieu et la prise de conscience aurait pu se faire plus tôt…
Pingback:Gare abandonnée de Canfranc, la vidéo
Posted at 23:28h, 21 avril[…] Vous reprendrez bien un peu de Xoldokogaina ? Canfranc, une gare plus grande que le Titanic […]
Renaud
Posted at 14:49h, 19 juilletTrès beau reportage d’un lieux hors du commun. les photos sont très belles.
Renaud Articles récents..Figée.
Renz Maryse
Posted at 13:20h, 06 marsMagnifique, j’avais. Vu le reportage à la télé. Cet été nous pensons y aller. Y a t-il u guide parlant français et où peut-on s’adresse ?
retourdumonde
Posted at 10:54h, 07 marsBonjour Maryze, d’après mes recherches ils semblent que les visites ne soient uniquement qu’en Espagnol mais c’est à confirmer. De mémoire il y a un panneau à l’entrée de la Gare de Canfranc qui vous indique où prendre les billets pour la visite, il me semble que l’office de tourisme se situe juste en face de la gare.
ghislaine rivière
Posted at 21:39h, 28 janviermagnifique !!! vraiment …. ça fait frissonner tout ça … bravo pour votre talent de photographe, on partage tout, on ressent tout !!!
retourdumonde
Posted at 17:29h, 30 janvierMerci Ghislaine ! 😉
Camille
Posted at 15:48h, 03 marsBonjour, avec mon copain on va y passer avant de se rendre dans la ville de nos vacances. De ce fait, je me demande si on peut vraiment visiter seuls ce lieu magnifique ?
retourdumonde
Posted at 19:02h, 04 marsBonjour Camille, je ne saurais pas trop vous dire, Canfranc est sans cesse en mouvement, les projets, les travaux se font et se défont, ça fait maintenant un moment que je n’y suis pas allé. Vous pouvez toujours essayer, à vos risques et périls, en faisant extrêmement attention et en prenant toutes les précautions d’usage.
Manu
Posted at 12:46h, 03 novembreDésolé du double post, je corrige ma phrase :
Je voulais savoir si tu avais pu visiter ce lieu seul avec ton copain, est ce possible ?*
retourdumonde
Posted at 13:01h, 13 novembreJe ne suis pas bien sur de bien comprendre le sens de la question, mais comme expliqué dans l’article, oui nous avons visité ce lieu seul en déambulant. Néanmoins, il semble que depuis quelques années ce soit désormais interdit et nous n’engageons personne à le faire.
Pingback:#EnVoyage #23 // 5 en 1, l’article franco-espagnol – L'oeil d'un Belge
Posted at 18:41h, 10 mars[…] La gare de Canfranc (Canfranc estacion) était, jusqu’en 1970, une gare transfrontalière entre la France (Pau) et l’Espagne. Suite à un accident, une partie de la ligne a été interrompue et remplacée par des cars. Le sujet est vaste et intéressant, vous trouverez plus d’informations et des photos et vidéos sur ces différents liens : 1, 2, 3, 4, 5 et 6. […]
Pingback:#EnVoyage #29 // Canfranc et Jaca, un aperçu de l’Espagne – L'oeil d'un Belge
Posted at 16:45h, 17 mars[…] La gare de Canfranc (Canfranc estacion) était, jusqu’en 1970, une gare transfrontalière entre la France (Pau) et l’Espagne. Suite à un accident, une partie de la ligne a été interrompue et remplacée par des cars. Le sujet est vaste et intéressant, vous trouverez plus d’informations et des photos et vidéos sur ces différents liens : 1, 2, 3, 4, 5 et 6. […]