31 Mar Formid’Alpes – De Pont-en-Royans à Vassieux-en-Vercors – Jour 4
Formid’Alpes
Road trip automnal entre Chartreuse et Vercors
Jour 4 – 6 Novembre 2018 – 391 km
Jour 4 |
De Pont-en-Royans à Vassieux-en-Vercors–391 km |
Suggestion d’accompagnement sonore :
Otis Spann – Moon Blues
(Flying Dutchman – 1969)
Otis Spann dans tout la beauté de son art, délivre un blues empreint d’une nostalgie parfaite pour la lecture de cet article historique. Et que dire de ce solo de flûte…
Qu’il est toujours plus facile de commencer la journée lorsque la nuit fût douce. Bien que notre spot soit calé au creux d’un renfoncement au pied d’une route, passé 19h plus aucune voiture ne passe. Au réveil la température est agréable, légère, chargée d’un je-ne-sais-quoi qui donne envie de prendre son temps tout simplement.
Mais comme prévu, le temps change assez vite, des nuages au-dessus de Valence nous rattrapent, l’air se charge d’une odeur de pluie, le goudron dégage son humidité matinale et tombent alors les premières gouttes de ce qui sera pour nous la journée la plus pluvieuse de notre road trip.
On déplie les cartes, activité qui elle aussi fait partie de notre routine quotidienne et matinale. Une tasse d’un café bien noir dans une main, la carte dans l’autre et un doigt de libre pour suivre les contours des dédales des multiples départementales qui s’offrent à nos roues.
Sur le papier le programme est assez dense mais faisable. On s’est prévu au programme une bonne partie de ce qu’on appelle la Balcony Road : Route du Petit et du Grand Goulets, que l’on dit très spectaculaire et la route de Combe-Laval que l’on dit exceptionnelle. Un grand détour que l’on est prêt à se farcir tant on dit de ses routes qu’elles vous scotchent sur place.
Nous voilà donc dans le sens inverse, à repasser par cette route des Gorges de la Bourne dont on commence à en connaître chacun de ses virages, chacune de ses roches, encore que cette fois-ci, la brume, cette vieille copine que l’on retrouve toujours avec plaisir et bonheur, nous transforme le paysage nous le rendant encore plus sublime.
A Saint-Martin-en-Vercors, lassés des kilomètres avalés sans avoir eu l’occasion de se dégourdir les gambettes, nous décidons de dire merde à la pluie et de se balader dans le village avec comme seul but, de déguster un petit noir au comptoir du café du village. Rentrer dans un bobinard en France ou ailleurs, c’est toujours le petit moment de plaisir. C’est découvrir des habitués, c’est laisser trainer ses oreilles pour voir quels sont les sujets qui importent, ceux dont on débat avec plaisir, entrain ou véhémence. C’est prendre le pouls d’un village, une photographie à un instant T.
Le café à la main, le journal dans l’autre. C’est en laissant trainer nos esgourdes sur nos deux voisins de zinc que l’on apprend la mauvaise nouvelle. La route des Goulets (Grand et Petit) est fermée pour travaux, elle n’ouvre qu’entre 18h et 7h00. La tuile. Une partie de notre programme est à remettre à plat.
On se fait confirmer l’info auprès de la tenancière. On taille le bout de gras et nous avoue que pour elle la plus belle de ces routes des balcons, ou tout du moins sa préférée, c’est celle de Combe-Laval. Légèrement chafouins de faire une croix sur une partie de notre programme on se résigne à écarter les goulets. Carte en main, je lui fais nous confirmer la route.
Pour la troisième ou la quatrième fois (à force d’y passer, j’ai perdu le fil des comptes) nous nous remettons en direction de Pont-en-Royans et re-re-re-re-traversons les Gorges de la Bourne.
Nous passons par le fameux pont de la Goule Noire, où durant la guerre, une bataille acharnée fût livrée ici, et comme trop souvent dans le Vercors, la victoire ne fût pas du côté de ceux qu’on aurait espéré. Ils sont nombreux ceux du maquis à avoir passé l’arme à gauche uniquement pour défendre ce pont stratégique.
La route qui s’en suit, traverse une forêt automnale et humide (les deux vont souvent de pair me direz-vous…). Lassés de trouver des synonymes de superlatifs, nous lâchons de concert notre 3872e « Putain, c’est beau ! » et ça l’est, ça et bien plus encore.
Quand la guigne vous suit, elle s’agrippe à vous comme un bulot sur un rocher de Cancale. Après avoir fait une croix sur les Goulets, nous devons rayer de notre To-do list de la journée : Combe-Laval ainsi que le fameux Col de la Machine. Tous deux fermés, nous laissant en plan au beau milieu d’une route.
Je râle, je peste, je grogne et je deviens ronchon, comme souvent lorsque le plan se déroule avec autant d’accrocs et ce n’est pas Cécile qui me contredira. On a perdu un temps de dingue, il est déjà 12h30 et on n’a quasiment pas bougé, avancé, arpenté.
Nous passons le Col de l’Echasseron, dont la route serpentante n’est pas sans me rappeler cette route magnifique qui mène à Orbaizeta au Pays Basque. On croise un nombre incalculable de chemins forestiers.
Le Col de l’Echasseron
(1 146 m)
–
Ah oui – le souci d’être fatigué quand on prend des notes en voyage -, on a oublié de vous dire, je ne sais plus trop si c’était avant ou après l’Echasseron, mais faut qu’on vous dise qu’on a fait un arrêt primordial à un moment de la matinée. Le destin a placé sur notre route une usine artisanale de ravioles du Dauphiné du côté de Saint-Jean-en-Royans.
Vous vous doutez bien que gourmands comme on est, on a fait un petit arrêt ravitaillement. On est reparti avec un paquet de 20 plaques de ravioles sous le bras, qu’on a très, très rapidement dégusté quelques kilomètres plus loin, à 1090 m du Carrefour des Charbonnières, paumés au beau milieu des épicéas et des bouleaux le tout, je vous le donne en mille, sous une pluie battante et un vent à décorner un bouquetin.
Col de Carri
(1 215 m)
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Trois plaquettes chacun plus tard, la pluie s’est calmée, seul l’égouttage des branches pliant sous le poids des perles de pluie venant rompre le silence de ce superbe endroit.
La route nous fait rentrer dans un Vercors beaucoup plus forestier et montagneux. Nous croisons nos premières pistes de ski de fond au Col de Carri et de ses 1 215 m d’altitude.
Passé cet interlude paysager, nous attaquons la partie grave du Vercors, celle qui a laissé des traces et dont il faudrait plus d’un article pour en parler. Celle que l’on raconte autant que l’on souhaite l’oublier tant elle n’est pas glorieuse du comportement des hommes qui choisirent de laisser mourir des héros pour des sombres histoires d’égo.
La Chapelle-en-Vercors. 817 habitants. 14 juillet 1944. Le village se fait bombarder en pleine journée de fête nationale. Pas de scrupules pour le calendrier, presque un doigt d’honneur. Quelques jours plus tard, après que 600 allemands atterrissent sur le plateau de Vassieux-en-Vercors et remontent vers La Chapelle, ils s’arrêtent dans la cour de la ferme d’Albert, s’emparent de 16 innocents, pour la plupart des gamins, des ados ou des vieux et les massacrent sans scrupules ni états d’âmes. Et pour terminer le boulot, déjà bien dégueulasse, brûlent la ferme.
Dans ce qu’il reste du lieu, un mémorial a été érigé. Simple, émouvant. Une plaque de verre égrène les 16 noms, prénoms et âge de ces inconnus qui ne doivent pas le rester. Dans une pièce restée intacte, une expérience auditive d’une dizaine de minutes vous vrille les tripes et vous les essorent. La gifle de l’expérience est intense mais nécessaire.
A quelques kilomètres de là, nous continuons la route ainsi que notre pèlerinage par la Grotte de la Luire. Une grotte naturelle qui servit de lieu de repli et involontairement d’hôpital de campagne.
Vous qui venez ici, apportez votre âme.
L’Histoire ne dit pas comment les allemands furent aussi bien renseignés sur cette cavité à l’écart des voies de circulation. Mais en ce 27 juillet 1944, l’hôpital clandestin était plein après que les deux autres hôpitaux militaires du Vercors durent être évacués. Sans pitié, sans écouter, ils massacrèrent 11 blessés dans le champ qui aujourd’hui jouxte le parking, et huit autres un peu plus loin. Sept infirmières furent déportées à Ravensbrück. Deux médecins et un prêtre fusillés à Grenoble.
L’endroit est aussi majestueux par sa grandeur qu’il ne l’est par sa force historique.
Cet endroit est sacré, passant recueille-toi dans le silence.
Comme j’aime à le dire, et surtout à le répéter, nous voyageons pour comprendre au-delà de voyager pour contempler et que l’Histoire soit belle ou non, il est important de toujours s’arrêter quelques instants sur l’avant, le passé qui a forgé le caractère des lieux, des habitants ou des villages. C’est primordial, c’est utile et nécessaire.
Et nous voilà à Vassieux-en-Vercors. Vassieux c’était un peu le but caché de ce voyage. J’y suis allé tout gamin, en CM2, en classe de nature avec l’école. J’ai tanné mes parents pendant des années et des années pour y retourner, en vain.
Je retrouve donc Le Piroulet, ce centre de vacances au design suranné et fleurant bon les années 70, jouxtant le musée de la Résistance et face aux magnifiques montagnes. Rien a changé. J’aimerais bien y faire rentrer Cécile pour que je puisse m’étendre sur les moultes souvenirs qui en découlent, mais c’est fermé pour travaux.
A défaut, j’envoie quelques photos à une ancienne camarade de classe avec qui je suis encore en contact sur Instagram, tout simplement parce que je ressens le besoin de partager ma nostalgie et mon enthousiasme.
Devant le Musée de la Résistance – qui est passé d’une maison jaune un peu décrépie que j’avais connue en un magnifique bâtiment moderne – alors que je déambule parmi les ruines de planneurs, un greffier vient se coller à mes guiboles pour ne plus les lâcher. Légèrement intrusif, il monte sur le toit, le capot bien décidé à trouver une ouverture pour qu’on l’embarque avec nous.
Avec ce soleil qui se couche, ce ciel qui s’assombrit, l’atmosphère est étrange. Vassieux-en-Vercors, mériterait lui aussi d’en parler pendant des heures. Comme beaucoup d’autres villages du Vercors, il fût meurtri, mais plus encore Vassieux était la clé de ce que l’on a appelé : Le Projet Montagnard.
J’en reparlerai un peu plus dans le prochain article, il existe deux télégrammes qui résument à eux seul la tournure de ce camouflet honteux.
Celui de Chavant :
(…) Alger et Londres n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et son considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches.
Il faut remettre les choses dans leur contexte et prendre en considération le choix des mots, très fort, à l’encontre de leurs supérieurs.
Et de celui du Colonel Huet, alors en charge du commandement du Vercors :
Tous ont fait courageusement leur devoir dans une lutte désespérée et portent la tristesse d’avoir dû céder sous le nombre et d’avoir été abandonnées seuls au moment du combat.
En résumé, Pierre Dalloz avec d’autres avait le projet d’utiliser le plateau du Vercors comme une poche de résistance pour prendre les allemands à revers lors du Débarquement de Provence. Sur le papier, son projet était un bijou de stratégie militaire, qui ne vit jamais le jour comme il le souhaitait. De Gaulle et son entourage, pour des sombres histoires d’égo et d’autres paramètres, abandonnèrent littéralement les maquisards du Vercors dans ce qui ressemble au plus beau, si ce n’est le pire désaveu de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale.
Ce dernier télégramme fût même maquillé et transformé pour que l’histoire soit déguisée.
Nous mettons l’Histoire de côté, et la replions au creux d’un mouchoir au fond d’une poche, afin de nous mettre en route pour un spot pour la nuit. Nous admirons le coucher de soleil et grimpons le long du Mémorial de la Résistance tout en profitant de la vue magnifique sur la vallée et ce plateau plat.
Les nuages tombent très vite et la nuit avec eux. Le vent s’invite à la soirée, sans demander l’autorisation, ainsi que la neige fondue. Tout ce petit monde revêt son manteau de nuit et nous enveloppe très rapidement.
Fort heureusement, nous avons trouvé un spot reculé et caché derrière un immense talus de ce qui ressemble à un bâtiment technique.
La toile du jean se fait fraîche, les rafales dépassent facilement les 50 km/h et ce soir le van danse.
Rassasiés après un bon repas qui débutât par une bière et du pâté, nous ressortirons plus tard dans la nuit afin d’admirer la voûte céleste qui nous enveloppe de ses draps pailletés.
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