10 Fév Guernica, le cœur du Pays Basque
Lundi 26 Avril 1937, jour de marché. Alors que la journée est bien entamée, les gens continuent d’affluer entre les marchands dans une sorte de brouhaha léger mais distinct. Les temps sont durs, les étals ne sont plus aussi remplis qu’avant, mais on se doit de continuer de remplir les assiettes du soir, et la gamelle du midi. Il est 17h30 quant au loin un vrombissement de plus en plus sourd se fait entendre, prenant le dessus sur l’agitation quotidienne du marché. Les têtes se tournent, on s’interroge du regard, sans trop comprendre. Ce n’est seulement quand les premiers corps tombent que la panique devient réelle, palpable. Les gens fuient, tentent de se cacher, de se protéger des balles des mitrailleuses allemandes et italiennes. Les secondes deviennent des minutes, les minutes des heures et les balles se transforment petit à petit en bombes incendiaires. Le ciel s’est noirci, les nuages ont la forme d’escadrille allemande, et la lumière se reflète sur les fuselages italiens. Sans discontinuer, les bombes tomberont pendant plus de 2h30, éradiquant 70% de la ville. Guernica vient de rentrer dans l’Histoire.
De Guernica je n’en garde qu’un souvenir lointain. On avait tracé la route avec mes parents et mon frère par une journée d’été. Les routes à virages, la montée du Jaizkibel, et la chaleur écrasante avaient eu raison de mon métabolisme de gamin. C’est un peu en vrac que j’étais sorti de la voiture et qu’on avait arpenté les rues de Guernica, que j’avais trouvée triste, vide, morne et défigurée par une architecture bordélique, sans queue ni tête, sans cohérence ni style. J’avais donc envie en traçant la route vers Gaztelugatxe, de faire table rase de mes souvenirs et de me refaire un avis, et puis j’avais aussi envie de faire voir, de faire découvrir, parce que Guernica, de par son histoire, c’est aussi le cœur et le poumon du Pays Basque.
On a donc fait un crochet avant d’aller grimper le rocher. Sans trop réfléchir et surtout parce que je faisais appel à des souvenirs lointains qui m’ont un peu paumés, on a d’abord commencé à déambuler dans le parc derrière le Museum Euskal Herria, descendant les travées, croisant des petits vieux en attente du temps qui passe, traversant des ponts au milieu d’une petite forêt. Ça c’était pour la mise en bouche.
Pour expliquer Guernica, il faut savoir mettre à part les bons sentiments personnels et se plonger dans une histoire complexe mais néanmoins importante pour qui veut aller chercher au-delà des clichés cartes postales du Pays Basque. Du jardin, nous avons atterri devant l’arbre, l’Arbre avec un grand A. Le symbole de Guernica, le symbole de la Biscaye, le symbole du Pays Basque. Gernikako Zuhaitza, ce chêne séculaire, symbole des libertés, des traditions, est à la fois cœur et poumon. Y toucher ou bien même le menacer comme tenteront de le faire les Phalanges, parti nationaliste d’extrême droite espagnol, durant les années Franco, c’est atteindre en plein cœur tout un peuple. L’Histoire nous date la tradition et l’Arbre Père au cours du XIVe siècle, il sera remplacé par la suite en 1742. Provenant de la même souche, c’est le tronc de ce dernier que l’on peut encore regarder et admirer sous toutes les coutures sous sa cloche de pierre au pied de la Maison des Juntes de Gernika.
Bouffé par le temps, rongé par les siècles, il a vu de ses propres branches et racines nombre de seigneurs de Biscaye, de rois et reines de Castille et d’Espagne prêter serment sur les Fueros, ces lois locales complexes, parfois orales, qui protégeaient les Basques des largesses des seigneurs et qui étaient garantes de la liberté des peuples. Une sorte de démocratie participative mélangée à une force juridique supérieure aux édits royaux. Les Fueros ou fors c’était la loi d’un peuple, tellement forte et présente que les Rois devaient s’y plier, sans broncher en venant jusqu’à prêter serment au pied de ce fameux chêne.
Cette souche, reste et restera présente, ne serait-ce que pour rappeler l’Histoire. L’arbre lui depuis a changé. Les rejets, les pousses ont fait des petits, qui de manière successive ont continué la généalogie. En 1860, le Vieil Arbre disparaît faisant place à l’Arbre Fils, qui voit pour la première fois, un lehendakari prêter serment. Le Royaume a fait place à une République, et c’est donc le premier président du gouvernement basque, Jose Antonio Aguirre, qui juste avant de combattre Franco et d’être contraint de s’exiler avec son gouvernement, eu le temps de dire à haute voix, devant une foule compacte, les mots qui sont encore de nos jours utilisés par chacun des nouveaux Lehendekariak.
De nos jours, c’est un énième rejet qui a été planté, et pour ce qui est du jour de notre visite, l’arbre était en « travaux », peut être le signe d’un nouveau changement. Il existe plusieurs « rejetons » de l’arbre originel de Guernica, plantés un peu partout dans le monde par divers membres de la 8ème province du Pays Basque, à savoir la diaspora. Un des plus connus d’entre eux, se trouve à Buenos Aires (ville en grande partie fondée par des conquistadors basques, notamment par Juan de Garay), planté fièrement juste en face du siège du gouvernement argentin. L’Arbre de Guernica, traverse les siècles, les continents, sans perdre une once de sa force symbolique.
Jusqu’au milieu du 19e siècle c’est donc à son pied qu’étaient rédigées les lois biscaïennes, sous le regard du peuple et dans un principe démocratique simple : un village, une voix, un représentant. On appelait ces assemblées les Juntes. Un arbre et une tribune étaient suffisants pour discuter des problèmes de la province, résoudre d’éventuels conflits et éditer des lois. Et quand les conditions météorologiques ne le permettaient pas, les Junteros se repliaient dans l’ermitage Santa Maria la Antigua juste à côté, qui petit à petit, au fil des ans, devient le lieu de réunion habituelle. Église et parlement, les fonctions religieuses et politiques réunies en un même lieu, construit en 1826 par l’architecte Antonio de Etxebarria. L’autel se transformant en pupitre présidentiel selon les besoins.
C’est encore au sein de cette salle de forme elliptique que se déroulent les séances plénières des Assemblées Générales de la Biscaye, organe suprême de représentation et de participation populaire, sous les yeux des portraits des différents seigneurs des Biscaye. Aujourd’hui encore on y élit le Député général, on y approuve les budgets, on y gère les impôts, on y parle finances de l’État et de la province. Guernica et sa Maison des Assemblées, malgré ce qu’on pourrait penser ne sert pas d’énième étape historique sur le passage du touriste en goguette, non. Sa fonction reste la même depuis des siècles, le confort spartiate est toujours le même, la salle de pierre laisse toujours autant passer les courants d’air, et la coupole en bois marqueté ne semble pas avoir bougé depuis des centaines d’années.
De la salle des Assemblées, on est passés à l’antichambre, la sala de la vidriera (salle du vitrail). Gardant en tête le principe architectural d’une église et d’un ermitage, l’architecte avait imaginé ce lieu comme une cour intérieure ouverte semblable à celle que l’on peut trouver dans les anciens couvents. Mais au beau milieu des années 60, il a été décidé de la couvrir, dans le but de transformer cette antichambre en un musée de l’histoire de Biscaye. Puis dans les années 80 on confia à une entreprise de Bilbao, travaillant encore les techniques ancestrales de créations de vitraux, la réalisation de ce chef-d’œuvre de 235 m2. Travail complexe, bourré de détails.
En son centre, on peut y voir une juntes au pied de l’Arbre, de la tribune, un vieux livre portant la mention Lege Zarra, rappel des fors, ces lois ancestrales et séculaires, que les seigneurs se devaient de respecter. Et tout autour de la représentation principale, des édifices emblématiques que l’ont peut retrouver disséminés un peu partout en Biscaye, mais aussi divers symboles de la richesse de ce territoire, comme la pêche, l’agriculture, l’industrie,…
En un vitrail, une représentation, toute la richesse du territoire de Biscaye se voit ainsi résumée. Je ne sais pas si c’est parce qu’on se trouve sur les ruines d’un ancien ermitage, mais tout le monde semble respecter les lieux. Un couple de quinqua’ plongé dans leur guide, tente vainement de déchiffrer la complexité du vitrail, pendant que nous déambulons de salle en salle. J’en viens à me perdre dans la contemplation de cette bibliothèque qui n’a pas grand-chose à envier à celle de notre Assemblée Nationale en France, si ce n’est peut être sa taille.
Partout où nous déambulons, il y a toujours un petit détail qui semble constamment nous rappeler que nous sommes ici dans un lieu de pouvoir, et pas n’importe lequel. La broderie du blason de la Biscaye, avec le chêne, sur les chaises, une petite maquette des bâtiments de la Baztar Nagusiak, jusqu’à cette petite porte de sortie qui donnant sur les jardins extérieurs, se trouve être dans l’alignement parfait du tronc du l’Arbre Fils.
Nous repassons les grilles de la Maison des Assemblées de Gernika sous l’œil de l’Ertzaintza, la police de la communauté autonome basque espagnol. Revenir à Guernica, marcher de nouveau sur mes pas, m’a permis de mieux comprendre une histoire, un système qui, lorsque je n’étais pas plus haut que 3 pommes m’était totalement étranger, obscur. Non pas que je m’en foutais, au contraire, c’est juste que je ne pouvais pas encore l’apprécier dans son ensemble.
Mais avant de quitter la ville, et de reprendre la route pour Gaztelugatxe, ils nous restaient toutefois une chose à faire, une chose à voir, il me restait une chose à retrouver. Perdue au fin fond des tiroirs bordéliques de ma mémoire, je n’avais aucune piste, mais le hasard faisant parfois bien les choses, c’est en quittant la ville qu’on tomba dessus. Au pied d’une rue en hauteur, coincée entre parking et une rue étroite, la représentation grandeur nature de Guernica, le tableau que Pablo Picasso peignit à la demande du gouvernement républicain espagnol en vue de l’Exposition universelle de Paris en 1937. A Otto Abetz, alors ambassadeur nazi à Paris, lui posant la question « C’est vous qui avez fait cela ? », Pablo Picasso répondit « Non…Vous ». La peinture est un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi, disait l’artiste.
Alors qu’on quitte la ville de Guernica, je me dis que c’était important pour moi d’avoir fait ces quelques kilomètres de détour. J’avais besoin de faire voir et pour moi faire découvrir Guernica, c’est donner à voir une autre vision du Pays Basque. Une vision plus complexe, une vision historique, politique, symbolique. Un savoureux cocktail mélangé au shaker et non a la cuillère, servi en concentré et à déguster par petites lampées.
Memorabilia :
L’image qui illustre cette article est tirée d’une carte postale ancienne de ma collection personnelle. Objet de souvenir, objet de mémoire, elle illustre les rues bombardées de Guernica, le 26 Avril 1937. Un chien perdu erre dans les ruines encores fumantes de la ville, et seules les indications de directions vers Bilbao et Lequeitio, nous donne une information de lieu. Carte non datée et non voyagée.
bonsvoyagesetc
Posted at 12:22h, 10 févrierJ’me permets d’ajouter quelque chose: le musée de la paix est très intéressant pour comprendre l’histoire de Gernika aussi. En tout cas, ton post raconte très bien ce que représente l’arbre et ce qu’est la Casa de las Juntas. J’aime beaucoup ton style!
About Basque Country
Posted at 23:56h, 15 févrierMerçi beaucoup por votres articles du Pays Basque
Eskerrik asko!!!!
http://blog.aboutbc.info/2015/02/15/william-y-cecile-siguen-emocionandonos-ahora-escribiendo-de-gernika-y-gaztelugatxe/
Gérard Cilveti
Posted at 22:10h, 17 févrierChers messieurs, j’habite le Méxique et mes grandparents maternels étaient basques et j’apprécie beaucoup l’histoire du pays. Pourriez vous me dire ce que veut dire la phrase sur la carte á fond rouge: « Euskal herriko bihotzean » »?? Merci beaucoup.
retourdumonde
Posted at 00:54h, 18 févrierBonjour Gérard, merci pour votre commentaire, je suis heureux d’apprendre que cet article a voyagé jusqu’au Mexique ! La phrase dans l’image illustrant cette article, veut tout simplement dire la même chose que le titre, à savoir « Le coeur du Pays Basque » (bihotz = coeur et Euskal Herriko = Pays Basque). Merci encore pour votre visite