27 Sep Oihanbeltz, La Forêt Noire au Pays Basque
Oihanbeltz |
Oihan: ForêtBeltz: Noire |
Suggestion d’accompagnement sonore :
Louis Armstrong & His Orchestra – Black And Blue
(Odeon – 1929)
La beauté et le talent de « Pops », la mélancolie de sa trompette en font un accompagnement parfait lorsque le temps vient à changer. Les plus avertis noterons qu’il s’agit du sample originel d’un classique de Hip Hop français.
Je l’avais effleuré du doigt une première fois, au beau milieu des rochers gris, des landes brûlées et des terres brunes. Il existe dans les replis des vallées du Pays Basque, coincés entre la Forêt Noire – Oihanbeltz -les hêtraies de la forêt d’Iraty, des paysages d’une petite Ecosse que l’on ne trouve nulle part ailleurs ici.
Une anomalie de paysage qui se découvre comme l’on erre sur les landes tourbeuses du pays du Chardon, sous un brouillard épais et une humidité qui vous enveloppe.
Nous sommes au début du mois de juin. La France, l’Europe, le Monde tente de sortir d’une période de léthargie forcée. Le Monde est étrange, la vie, guère mieux. Deux mois d’errance psychologique à tourner en rond sur un parking bétonné. Un confinement solitaire dans le coin en bas à gauche de la France. Les circonstances en auront décidé ainsi. Deux mois de bricolage, d’une vie d’ermite bien rangée, où je mentirais, si j’affirmais de ne pas y avoir pris goût.
Au bout de ces deux longs mois, Cécile a finalement réussi à me rejoindre. La route me démangeait, l’absence des pistes et des découvertes m’irritait la nuque. J’avais envie de bouger, de poser mes roues, non sans une certaine appréhension. Comme si la vie en pause avait tout remis à plat, fait tout recommencer. Comme s’il fallait de nouveau apprendre à se perdre.
L’ours que j’étais devenu devant réapprendre à vivre à plusieurs, en société, et c’est dans une ambiance chargée comme la météo qu’a démarré cette journée. La carte à plat sur la table en bois séculaire de mes parents, aussi biscornue que les vallées de la région.
Comme d’habitude, aucune idée du chemin, aucune information sur quelle route ou quel chemin allait nous avaler. On a posé le doigt sur un nom : Pagaltzeta. Pourquoi ? Absolument aucune idée. Sans doute parce que la route s’y arrêtait et que le Pays Basque m’a bien appris une chose en 30 ans d’exploration. Ici, il ne faut jamais faire confiance aux cartes routières. Où le dessin de la route s’arrête, il y a toujours un chemin qui continue. Comme une ode à l’espoir.
Kaskoleta
(650 m)
–
Il tombe alors du ciel une bruine dégueulasse, vicieuse et fine. Peu importe, j’aime le temps quand il est incertain. Nous filons plein sud-est, direction Estérençuby pour bifurquer sur une route qui m’est inconnue. Les routes se font plus fines, les bordas sont éparpillées dans le paysage, le bitume se recouvre de crottins, les vaches remplacent les humains. Pas de doute, nous nous éloignons pour nous retrouver dans le néant rassurant des montagnes. De mes montagnes.
Nous laissons les quelques fermes de Pagaltzeta – ou Phalgacette selon les cartes – et continuons de grimper pour bifurquer au gite de Kaskoleta. Un gîte d’étape d’une petite quinzaine de personnes, un chalet en pierre posé sur une butte. Nous ne prenons pas la peine de marcher jusqu’à la table d’orientation dans un champ de pâture. A quoi bon, Munhozarri (721m), Zuhaïneta et la cime d’Iturranburu et ses 858m se dissimulent dans des draps de brume.
Nous rebroussons chemin pour continuer l’exploration, passons de 600 m à 800 m d’altitude en quelques lacets. Des lacets où la brume de nouveau nous enveloppe de son écharpe diaphane, d’un blanc-gris. Les paysages disparaissent, les contours se fondent, il n’y a plus rien autour de nous. Que nous au milieu du rien, dans une bulle indistincte. Coupés du monde, coupés des emmerdes et des problèmes. Une parenthèse, une pause bienvenue dans les méandres d’une vie devenu bien trop compliquée et parfois lourde à porter.
Le brouillard et la brume ont ce pouvoir de vous couper de tout, certains le fuit, moi je le cherche. Il m’apaise, me fait du bien, m’isole et permet, de nouveau, de m’appartenir.
Nous grimpons les lacets pour déboucher sur un replat. Des vaches, peut-être des Betizu comme seuls compagnons de routes. Nous nous enfonçons le long d’une borda sur une piste caillouteuse et ravinée qui après quelques kilomètres s’enfonce dans une dense forêt : la forêt noire. Oihanbeltz.
Partageant peu de choses avec son homonyme allemande, c’est des tons de verts humides qui ressortent de la brume. Une atmosphère comme je les aime. Dense et mystérieuse, légère et voluptueuse où le paysage se dissimule et se découvre au gré des coups de reins d’Éole et du brouillard qui se déplace.
Après quelques kilomètres de caillasses et d’une piste intrigante nous déposons nos roues dans une trouée de la forêt, à 823m de hauteur. Une bruine d’une finesse de dentellière nous tombe sur le museau, mes pompes sont aussi trempées que mes chaussettes. Les gouttes s’immiscent par chaque orifice de tissu, lentement parcourant l’échine de tout son long.
Je laisse Cécile s’occuper du déjeuner dans un confort spartiate – tout ayant été vidé de la voiture en vue de bosser sur un second type d’aménagement intérieur – qui nous rappelle de lointains souvenirs. De tous ces casse-croûtes partagés sur un coin de tableau de bord de la Finlande aux Ardennes, du confins de la Basse-Navarre aux champs rugueux du Portugal.
J’en profite pour explorer, me balader au son du chant des oiseaux, des gouttes qui tombent sur les fougères, des ruisseaux qui se forment, des cascades qui s’ébrouent.
Oihanbeltz
(823 m)
–
Le casse-dalle se prend assis devant, la carte sur le volant à déchiffrer les chemins possibles, à apprendre la toponymie, à l’ingérer pour qu’elle devienne commune dans ma tête pleine de trous qui ne retient pas les choses essentielles. La pluie tombe, le silence nous entoure. Tout ce dont j’avais besoin pour mettre les soucis en pause. Pour moi la plus belle musique des voyages, synonymes des plus beaux souvenirs d’enfance, c’est celle-ci, l’eau qui grelotte, martelant la tôle du toit de milliers de petit sons métalliques, assis bien au chaud dans l’espace confiné de la bagnole.
Déjà petit, le son de la pluie martelant le toit de la capucine, le lit supérieur du camping-car, avait ce don de m’apaiser et de me bercer.
Je grille une clope qui aurait mérité d’être agrémentée d’un café, transformant mes chaussures en vilaines éponges humides. Nous continuons de descendre en altitude sans bien trop savoir où la piste nous mènera, vers un ailleurs c’est sûr. Mais au fond, lorsque l’on voyage de la sorte a-t-on vraiment envie de savoir où l’on va ?
Et puis à mesure que nous longions l’Intzarazki, un petit cours d’eau, soudain la vue s’est dégagée sur un vallon herbeux où les teintes des différents verts resplendissaient malgré la lumière grisâtre d’un soleil lointain, bien au chaud au-dessus des nuages. J’étais alors plein d’inexprimables. Rendu à en perdre les mots et la parole devant la beauté de la vue.
Une ode à la contemplation, à ne rien faire que de regarder. A ne rien faire si ce n’est d’ouvrir les yeux avec le vœu de ne jamais oublier. Un immense buisson forestier lové au beau milieu de deux replis dont, de loin, la végétation semblait aussi douce que la soie.
Si j’osais, je dirais que ce paysage était féminin, gracieux presque virginale s’il en existait cette petite route qui vient longer ses contreforts. Comme me le suggéra un ami, nous avions devant une sorte de représentation de « L’origine du monde » de Courbet version naturelle, où la cuisse se transpose dans les vallons avec la même douceur.
Le Pays Basque est un pays où il faut en comprendre l’hygrométrie pour en apprécier les paysages. Point de fondu de tons de verts, point de vert mélèze, impérial, empire, gazon ou sauge sans ses journées de pluie. Il faut en passer par là, des jours, des semaines de pluie qui, plus tard, magnifierons le paysage, en faisant ressortir l’intégralité de ses teintes et de ses nuances.
Et puis soudain, sans même nous prévenir, sans même nous y attendre la route s’arrêta net par une barrière. Fin de l’aventure. Aucun moyen de boucler la boucle, de rejoindre l’autre versant. Terminus, tout le monde descend.
On a donc mis nos pieds à terre, tels des cavaliers et avant même de continuer l’exploration à pied, nous sommes enfoncés dans cette forêt magellanique qui nous tournait le dos. Un morceau d’ailleurs où le vert est maître, où la lumière ne perce quasiment pas, où il fait frais et où l’on ne serait pas étonné si quelconque créature mythologique tel que le Basajaun ou la Basandere viendrait nous saluer d’un grognement primitif, jetant un œil sur ces visiteurs impromptus.
Intzarrazquy
(686 m)
–
Bercé par le murmure du ruisseau, les jambes empêtrées dans les feuilles de Dryopteris trop heureuses de s’épanouir dans cet environnement humide. L’endroit était parfait, calme, beau, étincelant, apaisant, un petit morceau de trésor, un de plus, dont recèle ce Pays que j’aime tant. Si seulement nous avions terminé notre aménagement intérieur, je pense que nous aurions, sans concertation, posé nos roues ici le temps d’une nuit.
Au lieu de ça, nous avons passé la barrière et remonté un petit chemin de randonnée menant aux bordes d’Intzarrasquy (686m}, un petit morceau du GR10 qui traverse les Pyrénées. Comptant les limaces comme d’autres comptent les moutons nous avons avancé jusqu’à la première borda, où des boucs dont les cornes se transformaient en immense paire de lunettes nous regardait de manière circonspecte.
Nous avons poussé un peu plus haut, croisé une ruine de borda et vite compris que nous ne pourrions rejoindre l’autre versant par les pistes. Alors la peine au cœur, nous avons rebroussé chemin, recomptant au passage les énormes et baveuses limaces noires jusqu’à la voiture et nous avons remonté la piste, repris la route pour changer d’endroit, pour passer de la Forêt Noire à des paysages de petite Ecosse. Mais ça, c’est une autre histoire.
Amélie
Posted at 12:31h, 27 septembreQuel beau récit.
Presque, frustrée, d’être arrivée si vite au bout.
Je m’accordais une petite pause dans l’écriture de ces derniers jours dans les alpes, cette parenthèse m’a fait un bien fou.
Bises xx
Amélie Articles récents..Visiter Grand Canyon : toutes les randonnées & points de vue
retourdumonde
Posted at 12:53h, 27 septembreMerci Amélie.
Tu sais mieux que quiconque à quel point ce genre de commentaire fais du bien au coeur et pousse à continuer même de manière sporadique.
L’article devait à la base être plus long, il devait parlé, en un seul bloc, de cette Forêt Noire et de la Petite Ecosse. Et puis j’ai décidé de spliter l’article en deux épisodes.
Des bises et au plaisir, un jour de se croiser.
vue sur le pays absque
Posted at 12:47h, 27 septembremagnifique ! superbe reportage merc de mettre à jour les beautés de ce cher pays basque
retourdumonde
Posted at 12:54h, 27 septembreMerci à vous pour ce commentaire. Le Pays Basque est mon pays de coeur, que j’aime a tenter de magnifier à travers les mots.
Mathieu
Posted at 09:12h, 28 septembreChouette atmosphère ! J’ai aimé retrouver des endroits que j’ai parcourus à pied (Esterençuby, Kaskoleta, Irati… ). Ce doit être bien différent en voiture. J’imagine qu’on ne peut pas passer partout ! Tu as vécu le confinement dans ton véhicule ?
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retourdumonde
Posted at 10:35h, 28 septembreMerci Mat! En effet j’ai pensé à toi durant la rédaction et je me suis dit que tu avais du poser tes chaussures dans le coin. Tu as dormis à a Kaskoleta?
On ne peut pas passer partout ou presque, il existe beaucoup de pistes, d’anciennes routes, de chemin de pâtures pour les bergers, mais quand la route s’arrête ou qu’un panneau en interdit l’accès, l’aventure se continue à pieds.
Je n’ai pas vécu le confinement dans ma voiture à proprement parlé mais, garé sur le parking, j’en ai profité pour la nettoyer et refaire entièrement l’intérieur pour pouvoir mieux en profiter en vadrouille.