20 Sep Porto, sous un meilleur jour
Suggestion d’accompagnement sonore :
Woody Guthrie – Along In The Sun And The Rain (Asch Records – 194?)
La guitare sèche et brute de Woody Guthrie, sa voix mélancolique venue de loin, il raconte avoir tout vu.
Il aura donc fallu taper du poing sur la table et se regarder dans le blanc des yeux pour que moi et Porto ébauchions une tentative de rabibochage. On avait laissé Porto pleurante de tristesse et c’est à peu près de la même manière que nous la retrouvons le matin. Séchant de temps à autres ses larmes, la discussion aura toutefois porté ses fruits, puisque c’est sous un meilleur jour que nous arpenterons Porto pour notre deuxième et dernier jour.
Le Furnace bloqué au maximum dans la petite salle de bain exigüe aura suffit à lui tout seul à sécher nos fringues détrempées. Vidés par la journée de la veille et avec la perspective de re-signer pour une nouvelle journée de flotte, c’est à tâtons que nous nous préparons. Aujourd’hui le programme est serré, dense, tout en en se disant qu’on verra bien si le Senor Météo – pardon pour cet interlude musical – est de notre côté ou non.
A peine nous sortons de notre cocon portuan, que nous enchainons de nouveau ces rues qui désormais nous paraissent si familières, on coupe par les petites artères, assurance de ne plus croiser les flots de touristes massivement débarqués à Porto dès les premiers rayons de soleil venus. Une bonne occasion de se perdre dans tout un dédale de ruelles pavées, croisant des bâtisses antiquement délabrées, qui laissent tout à loisir de s’imaginer ce qu’elles auraient pu être. Usines, fabriques, bâtiments publics, que sais-je. Tous ces bâtiments majestueux, toute cette grandeur qui semble désormais désuète participe grandement au fait que je n’arrive pas vraiment à cerner la ville. Porto a-t-elle tourné le dos à un passé grandiloquent ou au contraire n’arrive-t-elle toujours pas à s’en remettre ?
Ces rues parallèles, ces chemins de traverse sont aussi l’occasion d’admirer la ville et ses toits, d’avoir une autre perspective, un autre point de vue sur celle qui se surnomme Cidade Invicta, la ville invaincue. Alors que Porto semble avoir définitivement séché ses larmes et nous offre un soleil des plus agréable, nous descendons ses rondeurs pour rejoindre les berges du Douro.
Mais voilà que le cœur gros, Porto se remet à pleurer. Pas super motivés pour remonter cette grande avenue à la circulation toute parisienne, on se décide à attendre le bus, patiemment, très patiemment. – petite musique d’attente – On regarde la vie qui avance, le temps qui passe, on tourne en rond, en carré, en quinconces et en entretoises et au bout d’un temps démesurément trop long, le nez du bus 502 pointe au bout de l’Avenue. A l’intérieur, les larmes coulent le long des carreaux et les gens semblent terriblement mélancoliques. Tout téméraires que nous sommes, on décide de descendre au niveau du Jardim do Passeio Alegre, pour continuer à pinces, jusqu’au phare de Farol de Felgueiras.
Bien mal nous en a pris, dehors les rafales forcent les gens à s’arc-bouter, la pluie vous lubrifie le visage et les silhouettes qui passent sous ce ciel de mine de plomb ont des allures fantomatiques, presque terrifiantes. Les nuages grossissent, bombent le torse, se gorgent de gouttes et sont prêts à exploser d’indigestion. La mer, elle gronde au loin, le bruit des vagues se fracassant la gueule la première sur les digues résonne dans nos tempes. Putain, c’est beau.
Photo volée des vieux sur le parking de la jetée, bien au chaud dans leurs bagnoles, sirotant un café pour les uns, détaillant les résultats sportifs pour les autres. Posés là, comme dans un bon vieux drive-in cinema de l’Ouest Américain. Les tempêtes c’est mon truc, c’est ma came, mon adrénaline. Je laisse donc Cécile s’abriter derrière une palissade de béton et m’en vais shooter au cœur du maelström. Les mamies s’accrochent à leurs pépins, les hommes tentent de faire comme si de rien n’était et malgré les précautions d’usage, tout le monde, comme attiré par la beauté du spectacle, s’avance tête la première vers la tempête.
La mousse blanche de l’écume vient s’exploser en feu d’artifice derrière la silhouette du phare, le ciel d’abord gris, se change en un bleu turquin. Seules les mouettes semblent faire comme si c’était un jour normal. Et puis comme un mirage, un vieux souvenir, une pensée fugace, tout d’un coup, tout redevient calme ou presque. Le soleil perce de nouveau, les nuages et le ciel se font plus clairs et les vagues moins tempétueuses.
On laisse l’Atlantique derrière nous, et on remonte une grande avenue ponctuée de maisons années 30 sous un soleil désormais de plomb. Nous voilà à enlever les couches une par une, suant à grande eau. Porto a ravalé son amertume, à panser les plaies de notre engueulade et nous donne à voir son sourire le plus éclatant et le plus chaleureux. C’est au fruit de quelques efforts, de quelques pertes aussi et après avoir été remis dans les bons rails pour une dame aussi gentille que bien apprêtée que nous voilà aux portes du parc de la Fundação de Serralves. C’est chez l’amie Maïder que j’ai découvert ce petit bijou de nature caché dans les extérieurs de Porto. La promesse d’un poumon de verdure, d’un moment de balade.
Serralves c’est un parc, un musée d’art contemporain – dont on fera l’impasse – mais aussi 18 hectares de nature enchanteresse destinée à responsabiliser sur l’environnement et une magnifique demeure typiquement Art Déco. On est donc parti la fleur au fusil, admirer les fleurs aux bourgeons, déambulant dans les artères boisées ponctuées d’œuvres d’art contemporain laissant « perplexement » dubitatif.
Puis vint la Casa de Serralves, unique exemple de ce qu’on appelle l’architecture Streamline – le designer Raymond Loewy en était un ponte si vous voulez faire une recherche – que l’on doit à José Marques da Silva. Je ne me souviens plus trop de l’histoire, les souvenirs sont flous, mais il me semble qu’en définitive la maison n’a jamais été vraiment habitée. Et déambuler en son sein donne une peu cette impression de beauté gâchée, tant ce paquebot rose meringue donne à voir de toutes les fenêtres des vues agréables sur l’entièreté du Parc.
On déambule de pièce vide en pièce vide, se faisant chacun son propre film de l’histoire de la demeure. Finissant dehors au pied de la pièce d’eau, découvrant les alcôves d’un bleu vert adorablement en contraste avec le rose-cuivre du sol.
Ragaillardis par le soleil et cette marche, le ventre a commencé à tirer les premiers coups de sonnettes d’alarme, demandant un refill incessamment sous peu. Sur une petite esplanade de terre, anciennement un court de tennis, sous la fraicheur humide de la tonnelle de glycines, on a pris le temps. Pris le temps de casser la graine, de profiter du moment, du calme, des piafs qui venaient manger dans la main.
En pleine digestion, marchant sans trop savoir où et après avoir traversé des grottes, des rivières, des lacs, des champs de vaches du Minho et des serres, on a terminé au fond du parc, là où habituellement les mômes prennent des cours sur la préservation de l’environnement.
On a quitté le parc, on a descendu une avenue sans âme et Porto s’est remise à pleurer, encore plus fort que la dernière fois, à chaudes larmes et à grosses gouttes. Traversant le Parque da Cidade – pourtant conseillé par une amie – délaissé de tout promeneur, comme complètement abandonné. Débouchant au pied du Castelo de Quiejo – le fort du fromage, oui oui – Porto la cyclothymique s’était remise à briller. On a cherché le fromage, on a trouvé qu’un fort tenu par une association de vieux marins et une vue dégagée.
De là, on a remonté la longue promenade de bois, faisant gaffe à ne pas se laisser emporter par une lame de fond dégueulant par les ajoures des lamelles de bois. Les vieux, comme souvent, indifférents à la météo, admiraient l’Atlantique se déchainant à coups d’écume. On a observé les observateurs qui observaient bien au chaud, autour d’un Bolos de Arroz et d’un café bien fort pendant que le match des minimes du FC Porto déroulait à la télé, en bruit de fond.
Les jambes lourdes on a repris le bus, on a grimpé une route en lacet, côtoyant un mûr coloré de graffiti vindicatifs, on a découvert sans trop le chercher l’une des plus belles vues de Porto, vue d’en haut, où les toits de tuiles verdies par la mousse s’emplissaient de tons orangés d’un soleil toujours timide.
Dernier point de chute de la journée, le Jardin do Palacio de Cristal et son ovni de béton disgracieux remplaçant une ancienne construction de verre. Des paons en liberté, des mômes émerveillés, des couples enlacés, des vieux fatigués, un résumé de la vie de Porto.
A la maison, nos hôtes étaient revenus, et ne voulant pas les déranger, bien calés sous une couverture comme partout ailleurs en Europe un Dimanche soir, on est sorti en ville sur la jeté du Douro, la Cais da Estiva s’empiffrer d’un dernier gueuleton de riz au poulpe.
Porto était de bleu vêtue, de cette couleur fuyante et nostalgique, comme si elle était triste de ne pas nous avoir montré toutes ses richesses. Comme si, cette fois-ci, ces gouttes qui tombaient étaient des larmes de tristesse de devoir nous laisser partir à l’assaut du nord du Pays. Moi aussi, au fond, j’avais le cœur lourd.
Nikon D610 | Nikon F – Fuji Neopan Acros 100 | Minolta SRT-101 – Kodak Gold 200
Béné
Posted at 10:08h, 20 septembreSplendide ! Bravo pour ces magnifiques photos ! (comme toujours)
retourdumonde
Posted at 12:46h, 20 septembreMerci Béné, toujours sympa d’avoir un petit mot de ta part ! 😉
mzelle fraise
Posted at 11:44h, 20 septembreStreamline <3 Jolies photos de l'heure bleue. Moi, ça me donne bien envie d'y remettre les pieds, à Porto.
retourdumonde
Posted at 14:48h, 20 septembreRaymond Loewy a longtemps été mon dieu en terme de design ! <3
argone
Posted at 13:59h, 20 septembrepluie, vent, soleil …. quelle météo capricieuse … vous avez su faire avec … j’adore les papys dans leurs bagnoles ! 🙂
retourdumonde
Posted at 14:49h, 20 septembrePour les papys, je me souviens d’avoir vu ça y’a très longtemps en Ecosse, avec le journal, la thermos et les petits gâteaux. 😉
LadyMilonguera
Posted at 18:42h, 20 septembreVraiment, tes photos sont superbes… Bravo !!!
LadyMilonguera Articles récents..Prendre de la hauteur à la collégiale Notre-Dame de Villefranche-de-Rouergue
retourdumonde
Posted at 12:05h, 21 septembreMerci Lady ! 😉
Amélie
Posted at 11:02h, 21 septembreQu’il pleuve, qu’il vente ou avec un doux rayon de soleil qui vient caresser le visage, je dis oui à Porto après vos (trop) géniales photos ♡
retourdumonde
Posted at 12:07h, 21 septembreFonce Amélie, je suis sûr que Porto l’invincible, Porto la cyclothymique, cette vieille femme qu’est Porto te conviendra à merveille, j’en fais le pari. Merci pour ton doux mot. 😉
Suivre la route
Posted at 13:46h, 22 septembreInspirant ! Nous serons à Porto dans quelques jours… en espérant que la météo sera moins capricieuse. D’ailleurs si vous avez des adresses incontournables pour boire un verre, un café ou casser la croûte, nous sommes preneurs 🙂
retourdumonde
Posted at 10:35h, 23 septembreJe pense que vous devriez avoir une belle arrière-saison ! 😉
Pour ce qui est des adresses, c’est rarement notre vocation dans nos articles mais on peut te dire que tu peux allez manger la fameuse francesinha chez Cafe Santiago (R. de Passos Manuel 226) et les deux très bon restos qu’on a fait était sur les rives du Douro. L’un était dans la Rua de Sao Nicolau, le premier en montant la rue (le nom m’échappe, mais à ce qui parait le deuxième est tout aussi bon) et enfin le dernier soir c’était sur la Cais de Ribeira. Pareil le nom m’échappe, je pensais retrouver en regardant Google Street View mais avec tous les parasols je ne vois pas grand-chose.
Fais-moi un petit mail, je devrais pouvoir retrouver ça. Profitez bien !
Delphine / 7h09
Posted at 19:16h, 22 septembreÇa a l’air beau Porto, ça me donne envie ! C’est « marrant » : pour une fois, vous optez pour un pays du sud et il fait un temps… du nord ! 😉
retourdumonde
Posted at 10:36h, 23 septembreC’est exactement ça ! Le Nord nous colle à la peau 😉