18 Mar A la sortie du tunnel, Siglufjörður
On ne savait pas trop par où commencer, ni comment commencer pour vous expliquer, vous décrire l’ambiance d’un village islandais sous son manteau d’hiver, loin de tout. Alors on aurait pu vous parler de Hvammstangi et de ses carcasses de poissons abandonnées qui pendent sur un séchoir en faisant un bruit creux, on aurait pu aussi parler de Grundarfjörður, ville jumelée avec Paimpol, et qui vit dès 1412 tourner au large des baleiniers basques, bretons et Jersiais, mais non on a choisi Siglufjörður, parce que cette petite ville à un je-ne-sais-quoi de quelque chose, qui nous a attiré, marqué.
Il faut dire que cette journée là à été longue, éprouvante et le sera encore plus le soir à notre arrivée vers Akureyri, mais ça on ne le savait pas encore. Pour arriver jusqu’à cette ville on a emprunté une route dure et compliquée, souvent fermée. La route 76 ne laisse aucun répit, pas le temps de souffler, elle demande une concentration constante. Les falaises abruptes à gauche, les montagnes dominantes à droite, en montée constante, soumise aux assauts du vent de la mer de Groenland, cette route est belle mais diablement dangereuse. Avant même de partir, elle nous aura donné quelques sueurs froides, car elle a été fermée et interdite pendant quelques jours. Ici on s’enfonce dans la péninsule, pas de repos pour les faibles, et pas de répit pour les curieux, Siglufjörður se mérite.
Mais après avoir serré les fesses pendant plusieurs dizaines de kilomètres, la récompense est là. Au bout du énième tunnel à une voie et sans éclairage, on tombe dans la gueule du fjord. Et même si le ciel est menaçant, que la neige se met à tomber, que le cris des mouettes à un petit côté sinistre, il a quand même une belle gueule ce fjord. A la sortie du tunnel, un petit parking donne à voir un spectacle qui laisse sur le cul. En face la montagne Hestfjall se confond avec les nuages, ses flancs sont droits, quasi impénétrables. Derrière nous les bords de la route donnent l’impression de descendre en douceur pour d’un coup casser à angle droit vers la mer. Les oiseaux y trouvent leur compte de cachettes, méprisant totalement les éléments autour d’eux et font comme si de rien n’était.
Alors on décide de faire comme eux, de s’arracher au spectacle et de continuer notre route jusqu’à ce village du bout du monde relié à une route seulement depuis les années 40. Lorsqu’on rentre dans ce petit bled qui compte quand même autour de 1000 habitants, l’atmosphère est ouatée, paisible, les sons étouffés par la neige, on sent la vie sans trop vraiment la voir. Lorsqu’on croise les premières maisons, on se fait encore la même réflexion depuis le premier port de pêche croisé, on a l’impression d’être encore plus loin, ça ne ressemble pas à l’Europe, l’architecture des maisons nous donne l’impression d’être encore plus loin, au Groenland ou au Canada. Alors que l’année dernière en Norvège on se croyait en Islande, si là en Islande on se croit au Canada, vous savez donc où vous avez des chances de nous trouver l’hiver prochain.
Je me paume tout seul dans les petites ruelles de la ville, essayant de figer cette impression d’ailleurs, de « pas comme on connaît ». Sans tomber mais en glissant je me retrouve face à la vieille église des années 30, et à sa statue de Bjarni Þorsteinsson, prêtre de Siglufjörður et qui fut le premier à condenser toutes les chansons folkloriques islandaises, le Alan Lomax local.
La vue depuis le porche de l’église vaut quand même son pesant de hareng. Dans une ligne droite quasi parfaite, le port, la mer et le fjord, la sainte trinité de tout bon marin. Je continue de slalomer entre les maisons qu’on pense d’abord être en bois mais qui en fait s’avèrent être en tôle. L’illusion fait le boulot.
On descend se poser sur le port, entre les machines, et les caisses de poissons. Histoire d’avoir un joli point de vue pour casser la graine. Le peu de gens qu’on croise se promène, pousse une poussette, sinon la vie est calme, très calme. Sur le port on est au cœur de la ville. Le cœur dans le sens médical.
Siglufjörður est une ville de pêcheurs, l’a toujours été et le sera toujours sous d’autres manières. Jusqu’en 1903, village de pêcheur de requins, ensuite la ville est devenu la presque capitale du hareng, où sa population était quasiment 10 fois supérieure à maintenant. De nos jours, les harengs ne montrent plus l’ombre d’une branchie, ou beaucoup moins qu’auparavant et c’est sur son passé que la ville compte attirer le chaland. Les anciens hangars ou usines ont été repeints dans des couleurs pétantes, on en a fait un resto, un café, l’office du tourisme et un petit musée.
La ville compte aussi le «Musée de l’ère du Hareng» qu’on n’a pas pu faire pour cause de fermeture hivernale. Mais si vous voulez y jeter un œil, vous pouvez toujours aller voir les belles photos de l’amie Julie de Carnets de Traverse. Dont on fera le rapprochement à notre retour que c’est de ce même musée qu’elle parle…
En Islande je pense avoir compris un truc. Si on n’aime pas la mer ou que le sujet ne nous intéresse pas, on passe à côté de 90% de l’essence même du pays, de ses habitants, de son histoire. Je n’ai personnellement pas le pied marin, mais les îles et la mer m’attirent comme un aimant, et j’aime comprendre. A chaque port je ne peux m’empêcher de penser soit à Erik le Rouge et toute sa smala qui voguèrent jusqu’au Groenland, Terre-Neuve, Québec, ou encore même aux pêcheurs bretons et basques qui passaient 6 mois de l’année sur ces terres hostiles, au brouillard traître, aux rafales de vent assassines, ou aux averses de grêle destructrices. La Mer vous dévore autant qu’elle vous nourrit.
Je continue de marcher sur le port, à trotter entre les bateaux, à prendre en photo la typographie de leurs noms, les détails, les machines, les grues, en essayant de comprendre quel est ce petit truc qui me fait vibrer dans cette ville. Pourquoi elle m’attire, elle plus qu’une autre. Mais je cherche encore. On a beau prendre toutes les photos du monde, chercher les mots, écrire, décrire, rien ne remplace ce quelque chose qui vous fait vibrer, qui vous émoustille souvent, vous remue les tripes parfois.
On repart doucement de Siglufjörður, sans trop se presser, avec toute la lenteur et le respect que mérite cette ville. Alors qu’on retourne sur nos pas, on aperçoit là-haut, tout en haut, les barrières anti avalanche qui semblent être bien frêles face à la rudesse de la région. Aujourd’hui pour quitter la ville plus besoin de faire tout le chemin en sens inverse ou de prendre la dangereuse route 82 – la plus haute d’Islande, ouverte uniquement l’été et encore un court moment – on peut désormais emprunter un tunnel, tout nouveau, tout beau qui vous mène à Ólafsfjörður.
Le tunnel est long, en deux parties, relativement angoissant pour un claustrophobe, mais après un long moment dans cette relative pénombre, la lumière est là de nouveau, un peu comme si on venait d’ouvrir les yeux et que Siglufjörður n’avait été qu’un rêve.
Cécile
Posted at 09:48h, 18 marsEffectivement lorsque l’on n’aime pas la mer en Islande, on passe à côté de pas mal de choses. L’Islande c’est aussi se tenir face à l’océan, les yeux plissés parce que le vent et les vagues vous claquent le visage ! Ça fait partie des choses à vivre !
retourdumonde
Posted at 00:33h, 19 marsEt sans oublier le torse bombé pour se remplir les poumons ! 😉
Cécile
Posted at 00:59h, 19 marsEn relisant mon commentaire, je le trouve très poétique haha ! Je suis en forme 🙂
argone
Posted at 10:11h, 18 marsquelle découverte magique et quel dépaysement … merci de nous faire découvrir l’Islande avec tant de talent ! 🙂
retourdumonde
Posted at 00:36h, 19 marsTrès touché par ton commentaire, vraiment. Et merci de ta fidélité 😉
Céline
Posted at 11:07h, 18 marsLa ville a l’air vraiment sympa et tes photos me donnent encore plus envie de m’y rendre ! Bel article comme toujours 🙂
Mili - The Flying Dutchwoman
Posted at 12:43h, 18 marsLes photos sont vraiment superbes, comme toujours. Et très bel article.
On passe souvent son temps à essayer de comprendre pourquoi un endroit nous fait plus vibrer qu’un autre… mais mettre des mots ou même des images derrière des émotions, c’est parfois impossible. A plusieurs reprises en Islande ou en Norvège, j’ai eu cette vibration mais même maintenant, avec le recul, je serai bien incapable d’expliquer pourquoi. Par contre, la vibration y est toujours quand j’y repense. C’est ptet le principal finalement… après tout, un voyage, ça se vit plus que ça ne se raconte.
Pour en revenir au sujet, plus je vois tes photos, plus j’ai envie d’y retourner… pour une longue période cette fois.
Mili – The Flying Dutchwoman Articles récents..Lost in… Iceland (Reykjanes)
retourdumonde
Posted at 00:40h, 19 marsMerci ! Je n’étais pas très sûr d’être compréhensible quand j’ai écrit l’article, réussir à écrire que tu n’arrives pas à décrire un ressenti, bref c’est le serpent qui se mord la queue. Bien souvent j’essaye d’expliquer ça pour des paysages, des pays, ce truc qui vibre en toi, et que tu ne saurais décrire. Et qui parfois ne parle qu’à toi, et pas du tout à tes compagnons de voyage. Tu me rassures, le message semble avoir été passé distinctement. 😉 William
Fifaliana
Posted at 13:10h, 18 marsMoi qui adore la mer, je rêverai d’aller là bas. Merci de nous faire partager ton récit et tes magnifiques photos 🙂
LaRoux
Posted at 19:52h, 18 marsvos photos sont .. magnifiques !!!!!!!
LaRoux Articles récents..Barcelona / STREET STYLE TOUR
Julie
Posted at 10:54h, 19 marsOh mais ouiiiii ! Siglufjörður… et le tunnel qui fait peur ^^ J’avais eu l’impression de passer dans une ancienne mine !
Le musée vaut vraiment le coup d’oeil, dommage qu’il ait été fermé lors de votre passage, mais bon, clairement y’a de quoi voir déjà à l’extérieur ! C’est cool de voir la ville sous la neige… Moi c’était l’été.
Tellement beau l’Islande !
bises !
Julie Articles récents..Carnet de voyage : l’Islande, par la fenêtre
Proserpine
Posted at 19:27h, 20 marsJe trouve le texte presque plus beau que les photos 🙂 j’ai vraiment hâte d’y être, et pour le Canada, FONCEZ, c’est beau ici <3
Laurence - Le Fil de Lau
Posted at 01:00h, 26 marsChouette récit.
Et l’Islande sous la neige… je dois voir ça.
Vivre en Islande
Posted at 10:42h, 28 avrilBelle plume, belles photos, ça ne pouvait donner qu’une belle chronique.
Chapeau bas !
Philippe SIMON
Posted at 14:44h, 28 octobreSiglufjörður, j’y suis monté le printemps dernier, et comme toi j’y ai ressenti cette vibration, ce quelque chose qui te fait errer et qui te chuchote à l’oreille d’y rester encore un peu au moment ou tu pense partir. Ca ne se raconte pas, ça se vit tout simplement. C’est peut être ça le Bonheur !
Marion
Posted at 13:18h, 19 maiJe crois que c’est un des endroits que j’ai le plus aimé lors de mon séjour en Islande, peut-être parce qu’on s’y sens si loin de tout que l’on en oublie tous nos problèmes… En hiver, cette sensation doit être décuplée! En tout cas, merci pour ces si jolies photos 🙂
Marion Articles récents..La Pologne en Hiver – Cracovie, nos plus belles découvertes
retourdumonde
Posted at 10:27h, 20 maiEn effet en hiver, la sensation d’être coupé du monde est presque…surréaliste ! 😉
Martine Fumasoli
Posted at 20:52h, 02 févrierBonsoir!! Croyez-vous qu’on pourrait passer avec un camping-car de 7ms vers le 25 juin??
retourdumonde
Posted at 11:36h, 03 févrierC’est une très bonne question que vous posez là Martine ! J’ai souvenir que les tunnels sont relativement étroits mais sont les seuls points de passage pour ravitailler Siglufjörður, donc si des camions de livraison y passe, il n’y pas de raison que votre CC ne passe pas. Faite un tour sur les forums de camping-caristes, je pense qu’ils seront plus à même pour vous aider.
Et pour l’état des routes au mois de juin, je ne peux pas prédire la météo mais regarder sur le site de Vegagerdin : http://www.road.is/travel-info/road-conditions-and-weather/the-entire-country/island1e.html
Bon voyage 🙂
Anne
Posted at 00:12h, 22 aoûtLisez « Snjor » de Ragnar Jonas son . L’intrigue se passe à Siglufjördur , le livre rend très bien l’atmosphere de bout du monde .
Bel article qui donne envie d’aller découvrir ce village .
Dadole Sylvie
Posted at 18:56h, 24 avrilJe lis Snjór de Ragnar Jonasson était à quai du polar de lyon. J’ai envie d’aller voir sur place.
Catellani Christine
Posted at 16:36h, 23 maimoi aussi c est parce que je lis Ragnar Jonasson que je consulte cet article et merci car avec les photos je resitue bien l action …et cest là que j apprends que Paimpol est jumelée avec une ville islandaise …
retourdumonde
Posted at 16:38h, 24 maiDécidemment il va falloir que je jette un œil sur ce Ragnar Jonasson histoire de m’immerger de nouveau dans les ruelles de Siglufjörður.
Oui il y a une grande histoire entre Paimpol (et la Bretagne en général) et l’Islande, ceux que l’on appelait les islandais ou les terre-neuvas, ces pêcheurs qui partaient faire des campagnes dans les eaux froides du Nord. Il y a d’ailleurs un très bon musée à ce sujet à Paimpol.
Merci pour votre commentaire ! 😉
Tiffany
Posted at 14:25h, 09 aoûtEn plein dans mon roman de Ragnar Jonasson je tape Siglufjördur dans Google pour voir si je vais trouver quelques photos de la ville. Et là, je tombe sur votre blog!
Alors pour commencer je dévore l’article sur Siglufjördur et ses magnifique photos qui me permettent de me plonger encore mieux dans l’histoire et après ça je me jette à bras le corps dans votre road trip en Laponie qui d’après vos photos et la manière dont vous en parlez m’ont surmotivée à visiter ce coin et c’est donc avec plaisir que je vous annonce qu’en février ou en mars 2018 nous partons passer 10 jours en Finlande dont 6 en Laponie 🙂
Merci pour ce blog en tout cas, il est très bien fait et vos photos sont magnifiques.
retourdumonde
Posted at 17:31h, 09 aoûtBonjour Tiffany, merci beaucoup pour votre message ! Heureux d’avoir pu vous aider un peu plus à vous immerger dans les paysages islandais du côté des fjords de Siglufjördur. J’ai bien l’impression que vous êtes bien partie pour les escapades givrées et nordiques, vous verrez la Laponie comme la Scandinavie ne vous décevras pas ! Et quoi de mieux que de s’y balader en lisant un bon polar nordique ! N’hésitez pas à nous faire un retour de votre voyage et on vous souhaite le plus beau des voyages là-haut, dans le nord !
Alison
Posted at 23:20h, 10 aoûtC’est drôle ! Comme le commentaire précédent, je tombe sur votre blog en tapant le nom de cette ville présent dans le livre snórj ! J’ai hâte de lire votre blog plus amplement étant amoureuse de l’Islande notamment…
retourdumonde
Posted at 19:58h, 18 aoûtNous vous souhaitons une bonne lecture et n’hésitez pas si vous avez des questions 🙂
Ghislaine
Posted at 13:23h, 21 aoûtDécidément,Ragnar Jonasson est un bon chantre de sa ville !Et grâce à vous je peux situer ses polars et en saisir mieux l’ atmosphère , merci pour ce reportage et ces superbes photos.
retourdumonde
Posted at 18:15h, 24 aoûtMerci à vous, encore une lectrice de Ragnar Jonasson, il va vraiment falloir que je me plonge dans ce polar ! Merci de votre visite Ghislaine 😉
Pingback:Siglufjörður, la ville de tous les mystères - Ragnar Jónasson
Posted at 15:18h, 29 août[…] est un petit village de pêcheurs situé à l’extrême nord de l’Islande, bordé d’un côté par des montagnes de plus de 600 […]
Lou
Posted at 02:08h, 14 décembreC’est aussi en lisant Ragnar Jonason que je tombe sur cette magnifique description de Sigluförđur. Le texte et les photos évoque bien cette ambiance si particulére de ces villages Islandais en hivers, isolés qui se gagnent à force d’attention. Je remonte le temps, et, un an en arrière, et on atteignait Sikkisholmur après 70km de piste en venant du Nord par Burgarlađur. Bien qu’étant au fond d’un fjord face à l’ouest on est difficilement protégé du vent la dominante des vents est aussi d’ouest en Atlantique nord. Tout semble resté figé par le froid sauf le petit cimetière avec ses croix éclairées.
Merci de me rapeler ces quelques souvenirs.
retourdumonde
Posted at 17:59h, 16 décembreA force de voir des lecteurs venir ici grace à ce livre, il va vraiment falloir qu’on en parcourt les pages ! C’est exactement comme vous dites, passé le tunnel, nous sommes comme dans une bulle, un endroit figé par les tempêtes et les vents tournants. Un endroit à-part qui ne laisse pas indifférent.
Nervi
Posted at 22:30h, 06 décembreJe viens de lire le dernier JONASSON : « Siglo » Beau polar qui m’a amenée à visiter votre blog. On imagine bien l’ambiance !