29 Nov T’as voulu voir Paimpol et on a vu Bréhat
Suggestion d’accompagnement sonore :
Harry Belafonte – Island In The Sun (RCA Victor– 1957)
Pas forcément la chanson la plus connue d’Harry Belafonte, et bien qu’il parle de sa Jamaïque natale, cette courte chanson qui oscille entre folk, calypso et gospel, tient bien la route pour illustrer cet article.
Il est de ces escapades impromptues dont on n’attend pas grand-chose, s’y embarquant la fleur au fusil, vierge de tout a priori, prêt à embrasser tout ce dont on découvrira. Ce week-end à Paimpol fût cela. J’avais voulu voir Paimpol pour tirer encore un peu plus ce fil rouge de la vie des Terre-Neuvas, des Islandais, je voulais m’immerger pour comprendre. J’ai voulu voir Paimpol et on a vu Bréhat.
Partir le vendredi soir à la sortie du boulot, aller à contre-sens de ceux qui rentrent pour être celui qui part, un sentiment de nager à contre courant, de ne pas faire les choses comme tout le monde, parfait pour se sortir d’une routine désormais bien trop installée. On a laissé Paris derrière nous, mettant cap à l’Ouest vers une Bretagne qui m’était peu connue. De longues heures de train, de longues minutes de car, et on s’est réveillé à Paimpol, celle-là même dont nous croisâmes le nom en 2014 à l’extrême ouest de l’Islande en traversant Grundarfjördur. Ici tout rappelle ce passé de grande pêche, tous ces destins anonymes de ceux qu’Anita Conti appelait les Racleurs d’Océan. Rue Pierre Loti, rue des Islandais,…
Le soleil se met à raser l’horizon, doucement mais sûrement. Les couleurs sont pastels, les tons sont doux, le rythme lent appelle la contemplation. On met le quotidien dans une poche que l’on renferme précautionneusement et nous voilà en route pour Bréhat.
Un bus mène à la pointe de l’Arcouest, nous sommes seuls, nous et le chauffeur qui file à pleine bourre dans les artères de Ploubazlanec. On parle de rien, de tout, de la pluie et du beau temps, de l’orage qui devrait nous tomber dessus dans la journée. Fort d’un coup de taureau et de paluches de terrien, il nous distille ses explications, nous incite à regarder à droite, à gauche la belle vue de la baie de Paimpol.
Ma tête déroule des souvenirs imaginaires, me reviennent en tête des passages de Pêcheurs d’Islande de Pierre Loti, à la vue de la baie se superpose des images que mon cerveau invente, de femmes agitant leurs mouchoirs sur les hauteurs des falaises, de marins, de mousses d’à peine 6 ans prenant la mer pour la première fois, à mille lieux d’imaginer ce que la mer du Groenland va leur faire subir.
Arrivés à l’Arcouest, le ciel nous offre un lever de soleil, que seuls les oiseaux matinaux ont l’habitude d’observer et comme seule la Bretagne est capable d’offrir. Le bleu, le violet, le rose et le jaune y sont doux, étalés dans le ciel comme sur le canson d’une aquarelle, dilués avec une eau salée qui me semble artificielle tellement elle reflète la moindre des couleurs.
Amarrée au bout du quai, tandis que la vedette attend les derniers retardataires, dont nous, je déguste chaque seconde. Ce lever de soleil me paraît tellement irréel, les couleurs sont tellement folles, tellement….que j’en perd mes mots. Je bouffe chaque centimètre carré de ciel, je dévore chaque petit bout de mer, de rocher, d’îlot acéré. Je m’abandonne entre les mains de la Bretagne sans une once d’appréhension.
La vedette, le ferry. Je retrouve sans doute mon moyen de transport préféré, là où, sur quelques mètres carrés, se croisent les touristes, les locaux, les jeunes et les vieux, les amoureux et les solitaires, tous liés par un même but : l’ailleurs. Le paysage nous fait tous redevenir des gamins, les gens sont sur le pont, dans les couloirs, le nez collé aux vitres, les yeux mi-clos par les rafales salées d’un vent fraichement matinal. Tous différents que nous sommes, nous sommes tous d’accord sur un point et notre avis ne fait qu’un : C’est outrageusement beau et on a pas envie que l’instant cesse.
La traversée que l’on voudrait plus longue, s’efface en à peine quelques minutes, assez pour se sentir vivant, se requinquer et effacer la moindre trace de fatigue si il en restait encore. Notre hôte de Paimpol nous avait bien aiguillé et donné le seul conseil utile pour approcher l’île de Bréhat : « Faites comme vous le sentez, si vous voyez un chemin, que vous avez envie de le prendre, prenez le, ne vous bridez pas et découvrez ».
On a laissé un groupe partir à droite, et on a filé à gauche, à contre-courant. Et en quelques mètres on a compris que nous étions ailleurs. Bréhat, c’est autre chose, c’est un microclimat, la Méditerranée en Bretagne, c’est l’odeur entêtante des figuiers, les eucalyptus galopant, les mimosas, une végétation débordante et une faune qui n’est pas en reste.
Suivant la côte découpée, se perdant au milieu d’une végétation luxuriante et automnale, on avait toujours dans le visuel la baie de Paimpol au loin mais si proche pourtant. On a suivi les conseils, à virevolter à droite, à gauche, on s’est laissé se perdre volontairement, on a pris notre temps comme on ne l’avait plus fait depuis bien trop longtemps et nos pas nous ont mené à l’ancien garage à bateau des sauveteurs en mer. Un bâtiment de pierre et de bois posé ici, au beau milieu d’une plage miniature.
Continuant le chemin, nous avançons au beau milieu des artères marquées de murs en pierre, ici les maisons sont construites pour résister aux assauts du vent et des tempêtes, mais l’on en vient vite à se dire qu’elle n’arrive pas à résister à la désertification hivernale. Beaucoup de bâtisses ne semblent habitées que l’été, moment de l’année où la population est multipliée par 10 ou plus. On se faufile donc pour déboucher au bout de ce qui ressemble à une rue en cul-de-sac, un Gwenn ha Du déchiqueté se fait sévèrement malmener par un vent redoutable.
Posée sur cette même plage de la Côte du Goëlo une épave. La Jeannine-Christiane, un ancien langoustier et thonier de 1959 ne trompe plus personne, à moitié affalé sur la plage, n’étant plus retenu que par une seule cale, il est là, agonisant, au bout de sa vie, terminant ses vieux jours. La barque incrustée de coquillages, encore attachée à sa poupe, semble donner l’illusion qu’il est prêt à reprendre la mer, pour de nouvelles campagnes, pour de nouvelles pêches.
D’un chemin à un autre, d’une lande à un champ, on a fini au pied du Moulin à Marée de Birlot. Un moulin qui fonctionne avec les courants ascendants et descendants de la mer. Utilisé pendant des décennies, laissé à l’abandon suite à un orage violent, puis restauré d’une main de maître par une bande de doux dingues, amateurs et passionnés. Il trône désormais fièrement au pied de sa crique, aussi beau que si il venait de sortir de terre, sous l’œil imperturbable du clocher de la Chapelle Saint-Michel.
Depuis plusieurs heures que nous voilà debout, marchant à la découverte de Bréhat, un petit coup de pompe et un gros coup de dalle se fait ressentir, on décide de monter à la Croix de Maudez, pour faire un petit break.
Cette croix de granit ornée d’un cœur, a été érigée par les Bréhatins en souvenir du moine Maudez, venu ici évangéliser l’île en 570. Chassé de l’île, il s’installa sur une île située juste en face de la croix et construisit un monastère. La religion chez les Bretons est quelque chose de très important, pour autant, tout comme les Basques, il n’oublient pas tous le passé, le patrimoine païen qui a façonné leur identité.
Une mouette gourmande mais patiente pour seul compagnon, pour profitions de la vue sur ces confettis d’îlots pendant de longues minutes. Profitant d’avoir encore les muscles chauds, on s’attaque aux quelques marches de la Chapelle Saint-Michel qui du haut de sa centaine de mètres domine Bréhat tel un phare au beau milieu de la terre ferme.
Modeste vue de l’extérieur, modeste vue de l’intérieur, il se dégage néanmoins une force de cette église. On imagine le défilé des veuves, des femmes de marins, venant ici prier pour le retour de leurs hommes partis pendant des campagnes de 6 mois. Un je-ne-sais-quoi que je ne saurais expliquer me laisse muet, pensif, voir même admiratif.
On rejoint le bourg sous notre première averse de la journée, pas assez pour nous décourager, on s’engouffre dans l’un des rares restaurants ouvert en cette saison, pour se tortorer une belle cassolette de moules chacun, tout en lisant les nouvelles locales. Ici, l’arrivée de nouveaux habitants sur l’île s’affiche sur la place du village, on parle de la place du bilinguisme, de la langue bretonne, des écoles Diwan, je compare cette problématique avec celle du Pays Basque que je connais mieux, on devise, on échange, et on digère le tout avec une sorte de chocolat liégeois breton, façon palais breton et caramel au beurre salé, histoire de terminer en beauté.
Requinqués, rassasiés, on attaque le nord de l’île, passant le Pont Ar Prat que l’on imaginait plus grand, faisant un détour par le chapelle abandonnée du Saint-Riom, où la végétation, comme mue par une religiosité indéfectible semble épargner croix et statue.
Tandis que les gens en reviennent, nous, nous filons tout droit vers le bout du bout, la fin de l’île, l’extrême nord, ces fins de terre que j’affectionne tant : Le Phare du Paon. Ici, le granit est tout, les pierres grises, laissent place à ces fameux granits roses, ocre, orange.
Découpés, lacérés par de lointaines ères glaciaires, ils donnent au nord de l’île de Bréhat une splendeur qu’aucun peintre, auteur, romancier ne saurait renier. Surtout lorsque, d’un coup, la pluie cesse, le soleil transperce les nuages et le ciel devient gris, les rochers se parent alors de couleurs indescriptibles.
On grimpe les quelques mètres restants, vers le Phare du Paon, avec pour bande son, le bruit fracassant des vagues venant terminer leur course dans un immense gouffre.
Il existe bien des légendes sur ces rochers, sur ce gouffre, comme celle de ces deux fils, Gwill et Isselbert, malhonnêtes comme pas deux, qui tentèrent de tuer leur père Mériadek. Mais jamais ils ne purent arriver à leurs fins, d’un coup d’un seul, ils furent pétrifiés sur place, changés en énormes rochers, et séparés par un gouffre. Une légende qui n’est pas sans rappeler les nombreuses légendes de trolls pétrifiés que l’on peut retrouver en Islande.
Non loin de là, se trouve un autre gouffre, pour celui-ci, on raconte que les jeunes fiancées de l’île y venait jeter un galet contre ses parois, le nombre de rebonds correspondait au nombre d’années qui leur faudrait attendre avant de se marier.
Des histoires mystiques qui renforcent l’atmosphère si particulière de ce petit bout du monde. On a eu beaucoup de mal à s’arracher des lieux, mais on avait une vedette à prendre, alors on a rebroussé chemin, tentant avec échec de couper à travers champs, s’arrêtant devant un étal de fruits et légumes, au croisement d’une rue, sans vendeur mais avec une petite caisse. On y a glissé nos quelques pièces et nous sommes repartis avec une pomme et une poire sucrée en guise de goûter, un pot de gelée de pommes au sureau bien calé au fond du sac.
La vedette nous attendait, et nous attendrait encore quelques minutes de plus, le temps d’avaler un rapide café, et nous étions repartis de Bréhat, laissant derrière nous un petit morceau de Paradis que nous avons eu la chance d’arpenter, quasiment seuls, ayant l’impression d’être des explorateurs à la conquête de cet îlot de verdure. Je me suis pris à rêver d’y passer une nuit, ou plusieurs, en hiver quand les tempêtes font rage. J’avais voulu voir Paimpol, je suis tombé amoureux de Bréhat.
LadyMilonguera
Posted at 14:27h, 29 novembreTes photos témoignent parfaitement de la beauté de la région.
LadyMilonguera Articles récents..J’ai visité le centre portugais de la photographie de Porto
retourdumonde
Posted at 15:34h, 29 novembreMerci ! Tu y as déjà été ?
Aline
Posted at 14:34h, 29 novembreLes photos sont, comme toujours, tellement belles ! <3 Merci pour le voyage.
J'ai découvert des images de cette jolie île cet été et je l'ai depuis ajoutée à ma liste d'endroit à voir en Bretagne, j'espère pouvoir y aller l'année prochaine. Ça a l'air magnifique !
retourdumonde
Posted at 15:35h, 29 novembreMerci beaucoup Aline pour ce joli message !
Hors-saison, Bréhat donne l’impression de n’appartenir qu’à soi, aux prémices du Printemps ou au tout début de l’Automne, voilà des bonnes saisons pour découvrir celle que l’on surnomme l’Île aux fleurs 😉
Arnaud
Posted at 16:07h, 29 novembreCa me rappel des souvenirs. Je dois avoir quelques photos identiques quelques part…
retourdumonde
Posted at 17:59h, 29 novembreFaut que tu me montres ça à l’occaz, histoire de comparer 😉
Isa
Posted at 16:35h, 29 novembrePassion pierres… Rhalala j’aime tellement ! On pourrait jurer que c’est déjà l’hiver, vue l’ambiance, sur vos photos…
Isa Articles récents..Mon identité lyonnaise
retourdumonde
Posted at 18:00h, 29 novembrePassion pierres, mais surtout passion granit ! Depuis les côtes de la Nouvelle-Ecosse, le granit semble nous poursuivre.
Personnellement, j’aimerais y rester coincer un petit week-end de tempête quand les éléments se déchaînent <3
Sandrine
Posted at 00:24h, 30 novembreTrès joli reportage !
J’y étais cet été, je voulais justement traiter mes photos de là-bas dans les prochains jours, mais je crois que là, tes photos comblent mon manque de cette île pour un moment 🙂
ça attendra donc 🙂
retourdumonde
Posted at 18:58h, 30 novembreMerci Sandrine, au contraire j’ai envie de voir ça ! Merci pour ton message. 😉
Greg
Posted at 16:26h, 30 novembreSuperbe article pour une belle mise en valeur de ma région. Bravo et merci de m’avoir redonné envie de revoir Bréhat !
retourdumonde
Posted at 18:59h, 30 novembreMerci Greg, toujours un plaisir de traîner ses guêtre en Bretagne, j’ai pas mal pensé à ton boulot là-bas, et je comprends qu’on puisse tomber autant amoureux de la lumière.
Lili de Jolis Voyages
Posted at 22:49h, 30 novembreHey ! mais c’est mon île !! Jolie balade, ça me fait plaisir ! Biz
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retourdumonde
Posted at 13:02h, 01 décembreMerci Lili, un bien endroit que ton île ! 😉
Florence
Posted at 09:09h, 04 janvierJuste magnifique autant dans les commentaires que dans les photos………..je reconnais la mon ptit paradis !!! Merci pour ce petit voyage dont on ne se lasse jamais !!!
retourdumonde
Posted at 17:37h, 04 janvierMerci beaucoup Florence ! <3
Yvon HERVE
Posted at 17:46h, 06 janvierOui vraiment sublime toutes ces photos,et excellent reportage…
retourdumonde
Posted at 17:23h, 08 janvierMerci Hervé !