03 Fév Le voyage, un dépaysement sonore
Le son. Présent dans tes oreilles en permanence : ton mp3 de qualité un peu moyenne, la voiture de police qui passe et qui te gâche le refrain. Le camion poubelle que tu maudis de passer sous tes fenêtres à 6h du matin. Le son, c’est aussi une mélodie qui se déforme dans les couloirs du métro, un air joué à la guitare que tu distingues, de mieux en mieux et qui t’émeut, parce que ce soir ça ne va pas trop.
Le son est quotidien, quasi permanent et tu pars forcément en voyage avec. Le son en voyage commence en avion, avec un bruit assourdissant. Régulier, ronronnant, voire même lancinant. Le rythme sera cassé par le jingle sonore qui accompagne l’allumage du symbole « attachez votre ceinture« . Puis avant de décoller et d’atterrir, tu entends le pilote ou le capitaine de bord qui parle dans un téléphone qui sert de micro, crachotant. Je ne cherche même plus à comprendre ce qu’ils disent, le seul fait qu’ils parlent m’informe que je suis ailleurs Sauf, parfois, des mots qui ressortent comme « venteux« . Ce mot-là, il ressort, tu l’entends, alors que tu n’as pas compris les 5 minutes de baragouinages précédents.
Tu sors de l’avion, la tête un peu en compote, le bruit permanent s’est arrêté et du coup ça y est, ton oreille se focalise sur d’autres sons : déjà la langue, dont tu essayes de capter la mélodie, le rythme. Ca commence par les messages diffusés dans l’aéroport mais très vite, ce sont des gens qui s’expriment dans une langue inconnue, et tu essayes de repérer des mots que tu pourrais comprendre.
A la sortie de l’aéroport, tu prends le bus ou le taxi pour rejoindre la ville, et généralement, c’est là que se passe le premier contact avec … la radio. C’est marrant, parce que je pense que c’est universel. Les premières minutes de la découverte d’un paysage sont la plupart du temps accompagnés du son de la radio. Journal, météo, pub pour le supermarché du coin ? En fait, tu n’en as aucune idée mais la radio accompagne le paysage, cette bande son lui donne une profondeur, l’habille et toi tu as un sourire béat, scotché à la fenêtre.
J’y arrive aux sons de la ville, difficilement supportables pour ceux qui n’y habitent pas au quotidien. Je me rends compte que je compare les sons des villes à ceux de Paris en permanence. Une sirène de police, avec une note différente, va immédiatement m’attirer l’oreille. Parmi les souvenirs sonores citadins :
Helsinki, décembre 2011. J’ai adoré cette ville, et j’ai mis du temps à savoir pourquoi. Beaucoup de trafic, voitures, tramways, un grand dépaysement du fait des bâtiments austères. Et pourtant, cette ville m’a apaisée. Oui mais en décembre, elle était sous la neige, tous les bruits étaient absorbés, comme enrobés dans du coton.
Rome, mars 2009. Je ne pensais pas trouver ville plus bruyante que Paris. Les scooters y jouent pour beaucoup.
Mais en voyage, il n’y a pas que la ville. Il y a un repos dont j’ai besoin : c’est le repos sonore. Trouver des endroits au milieu de nulle part y contribue pour beaucoup, et c’est là qu’on se met à « entendre », c’est à dire dépayser l’oreille, réapprendre à écouter et découvrir d’autres sons, à les apprécier.
La rivière un peu sur la droite, une voiture, qui va certainement arriver mais qui est encore loin, le bruit du vent dans ses oreilles, le chant d’un coq qui rebondit sur la roche en plein milieu du brouillard, la mer qui gronde car la marée est montante, elle est plus discrète et fait rouler les galets quand elle descend.
Tous ces sons, j’ai envie de les garder, de les collectionner. Pour l’instant, je n’ai emmené un enregistreur que pendant deux voyages. Et pourtant, quelle évidence. Une des premières choses que j’avais remarquée en Laponie, c’était ce bruit de silence. Oui c’était un bruit, car ce silence on l’entendait, comme un bruit blanc, ce bruit situé à une certaine fréquence, pour tester généralement les enceintes. Ce bruit, je le regrette, je ne l’ai pas encore dans ma collection de sons. Comme si j’avais besoin d’une excuse de plus pour y retourner. Pour aller glaner aussi ce bruit métallique des voitures qui passent sur le béton gelé.
L’Islande a donc été le premier voyage sonore que j’ai enregistré. L’Islande et son vent, que dis-je ses vents, du plus violent qui fait craquer la maison à celui de Reykjavik, adoucit et freiné par les bâtiments, mais toujours présent. Ces vents tellement difficiles à capter sur l’enregistreur, les yeux rivés sur la modulation, vérifiant que cela ne sature pas.
L’Ecosse, le deuxième, paysage décoré d’eau sous toutes ses formes : pluie, écoulements, rivières, cascades, lochs et un peu de vent, moins facilement enregistrable et moi, moins bien équipée qu’en Islande.
Réécouter, en rentrant, tous ces sons, c’est repartir un peu. Parfois plus qu’en photo, ils me font revivre un moment. Il faut les retravailler, les habiller, les mettre en valeur, pour les mettre en scène dans chaque jour du carnet. Trouver la musique. Cette musique en voyage qui mériterait un article à elle seule.
Cette bande-son que je retravaille, seule, au casque, qui rend mes yeux mouillés et qui me donnent des frissons : j’y suis, je suis repartie, loin de la mélodie quotidienne, j’ai changé de tempo. Je suis en plein décalage non pas horaire mais rythmique : je suis en dépaysement sonore.
Emmanuel
Posted at 10:27h, 03 févrierC’est assez rigolo que tu parles de son, car étant « malentendant », je suis aussi assez concerné.
Quand tu dis: « Ces vents tellement difficiles à capter sur l’enregistreur, les yeux rivés sur la modulation, vérifiant que cela ne sature pas. » je comprends aisément de quoi tu parles. Avec mon « bidule truc » à l’oreille dès qu’il y a du vent, c’est fini tout espoir d’entendre quoi que cela soit ^^ et je n’ai pas d’onomatopée pour le décrire mais c’est horrible. Je sais pas comment vous arrivez à filtrer en pp ?
Ensuite, il y a le bruit en ville. Paris est bruyant certes… mais va en Asie du Sud Est, c’est bien pire avec le bruit incessant des scooters, klaxons, gens qui parlent.
Enfin, à l’opposé, le bruit du silence. C’est tellement reposant, on pourrait croire qu’il n’a pas de bruit, et en fait si, il en a « un ». On va dire que c’est ce que tu entends de ton propre corps. Plusieurs il m’est arrivé de vérifier que mon appareil était branché tellement la différence entre le mode on/off était confondant ^^
J’ai ouie dire qu’après plusieurs jours passés dans des endroits naturels, nos sens s’affirment et que l’on serait disposés à entendre des sons que l’on entendait pas !
retourdumonde
Posted at 11:43h, 03 févrierMerci Manu pour ton commentaire »entendu » sur cet article. Du coup, tu captes les sons différemment et c’est intéressant.
Pour le vent d’Islande, comme tu le vois sur la couverture, j’avais pour la prise de son une bonnette à poils (Rycote) qui permet d’atténuer le vent dans la capsule de l’enregistreur. Donc j’avais une assez bonne qualité de son de vent lors de la prise. J’ai aussi enregistré assez peu fort, pour qu’il puisse être regonflé en pp.
Concernant les bruits de la ville, ne connaissant pas l’Asie, je n’ai que l’exemple de Rome comme ville bruyante, et j’imagine bien l’enfer de bruit que doivent être Bangkok ou Jakarta…
bonsvoyagesetc
Posted at 12:21h, 03 févrierC’est tellement rare qu’on aborde ce sujet. En voyage, on est tellement focaliser sur la vue et le goût qu’on en oublie de profiter de ces accents si différents, de la tempête, du silence… Et on se rend pas compte à quel point ça fait partie du dépaysement. Merci pour ce post si intéressant!!
retourdumonde
Posted at 00:09h, 04 févrierL’oreille est importante, même je prête attention au goût en voyage aussi finalement, maintenant que tu en parles…Merci à toi !
mzelle-fraise
Posted at 13:01h, 03 févrierAh la la, que j’aime ce genre d’article ! C’est une super idée une collection de sons, je trouve ça très poétique (vous êtes trop forts, mais je l’ai déjà dit, non ?!).
retourdumonde
Posted at 00:10h, 04 févrierAprès William, c’est moi que tu vas faire rougir Johanna ! Merci ! Cécile
Sylvie
Posted at 13:42h, 03 févrierMerci beaucoup pour cet article ,comme vous avez raison ,et comme je regrette de ne pas l’avoir fais moi aussi…Car il est vrai que les sons nous rapprochent encore plus de nos souvenirs ,qu’il s’agisse de voyages ou bien des gens que l’on aime…. Bien plus émouvants que des photos,mais complémentaires ,j’en suis convaincue! Je pense que mon prochain achat sera celui ci ,vous m’avez ouvert les yeux,(les oreilles devrais je dire) et convaincue ! si vous pouviez me renseigner au niveau du matériel ,j’en serai ravie !
retourdumonde
Posted at 00:15h, 04 févrierMerci Sylvie pour ce commentaire encourageant. Pour le matériel, j’enregistre avec un Zoom H2n, qui assez simple d’utilisation pour débuter. Je l’ai acheté avec son pack d’accessoires (pochette, trépied etc…). N’hésitez pas à nous écrire un petit mail si vous voulez des liens.
Mili
Posted at 16:09h, 03 févrierTrès chouette article! Et si vrai…
C’est assez rigolo quand on part en voyage à deux parce que mon copain va plus retenir les choses liées au goût alors que je vais plus retenir les sons et les odeurs… Si tu me parles des Lofoten par exemple, j’ai immédiatement le bruit du vent qui s’engouffre dans mes oreilles et l’odeur de la morue séchée qui pend pas loin de la cabine… Ou l’Islande, ça sera le bruit des cascades et l’odeur du souffre…
Sans compter qu’avec mes problèmes de vue, l’ouïe et l’odorat sont un peu plus développés et ça me fait tout bizarre quand je ne peux pas me servir d’un de ses sens en voyage (j’ai presque l’impression d’être passée à côté des émotions que tu ressens en écoutant un bruit et de ne pas pouvoir m’imprégner de l’ambiance d’un lieu. Et je pense que les sons sont tout aussi importants, voire même plus que les images parce que contrairement à une photo qui sera quoiqu’il arrive un moment figé dans le temps, le son continue de bouger, de t’emmener quelque part… Mais comme je disais : super chouette d’enregistrer les sons comme ça et de nous les faire partager 🙂 (je suis un peu repartie en Islande d’ailleurs, c’est sympa).
Mili Articles récents..Lost in… l’Estérel
retourdumonde
Posted at 00:21h, 04 févrierJe t’ai fait voyager avec un son, le défi est relevé ! C’est très intéressant, un petit peu comme Emmanuel (le premier commentaire de cet article), comment le fait d’avoir un des cinq sens un peu plus « faible » fait ressentir différemment les sons. Et tu as bien formulé ce que je veux faire passer : après le voyage, le son reste vivant, il continue à moduler…
Letieou
Posted at 17:51h, 03 févrierAhlala ! Tu traites un sujet qui me tient particulièrement à coeur ! J’avais basé mon tour du monde sur la musique, et de la musique, il y en a partout ! Par-tout !
C’est vrai que pour se replonger dans une ambiance, le son, c’est immersif ! Et ça accompagne particulièrement bien un billet. J’avais enregistré des sons d’ambiance durant mon voyage, comme le souk d’Urumqi, le trafic au feu rouge de New Dehli, les bruits du train à Cuba… Je regrette de ne pas en avoir enregistré plus, et pas seulement de la musique.
La difficulté du truc, quand tu es tout seul, c’est de tout faire en même temps : écrire, photographier, enregistrer… A ce petit jeu, j’ai perdu du matos en Irlande à force de vouloir tout faire !
Chouette montage en tout cas ! Alors ça va faire un peu puriste, mais moi je préfère sans musique du tout. Juste du son ! Et je sais pas si vous connaissez les cartes postales sonores d’Arte radio ? Ben si vous connaissez pas, ça vaut le coup d’oreille !
retourdumonde
Posted at 00:26h, 04 févrierMerci Mat ! Eh oui, la musique, c’est encore autre chose et ça nous accompagne sur la route, elle mériterait un billet à elle seule !
Tu me fais rêver avec tous tes sons, et en effet ça ne doit pas être facile à gérer tout seul.
C’est intéressant ton retour sur les montages. Il fallait que je les »habille » de musique, Samaris pour l’Islande, un compositeur écossais pour l’Ecosse, il fallait un peu de mélodie, mais pourquoi pas dans le futur, de faire vraiment des montages sans fond musical, je note !
Merci pour les cartes postales sonores d’Arte Radio, je vais aller jeter une oreille.
C.
Jeremie
Posted at 11:55h, 04 févrierAu contraire de LETIEOU j’ai basé mon premier voyage sur les sons plutôt que la musique et je suis d’accord avec lui sur le côté sonore qui devrait prendre le pas sur la musique; en revanche je trouve que les deux travaux que tu présentes dans ton article ont vraiment une âme à part entière ! Tu l’expliques très bien d’ailleurs : « réécouter SES sons (perso je les considère comme mes petits protégés 🙂 ) c’est repartir, il faut savoir les habiller et les retravailler… » et ben très beau travail d’habillage en tout cas !
Vraiment bien écrit comme article, c’est exactement ce que je ressens quand je me replonge dans mes enregistrements de voyage !
retourdumonde
Posted at 00:49h, 18 févrierJe vous promet, à Mat et à toi, que j’essaierai la prochaine fois de ne mettre que les sons, mais je ne promets vraiment rien.
Même si je fais la différence entre les sons et la musique, quand je fais les montages pour le carnet de voyage, il y a toujours une musique du pays visité qui me vient en tête et qui « rythme » les sons…
Merci pour tes compliments et rendez vous au prochain carnet !
C.
Vagabondanse
Posted at 19:13h, 15 févrierNon mais quel article… ! Les mots sont si joliment trouvés. Vois-tu, tu as réussis là un tour de force,. Le temps de la lecture, j’ai tenté d’imaginer tous ces sons, de les voir prendre formes et sonorités. Ce qui est loin d’être aisé, car vois-tu (attention, confidence!), je me retrouve un peu dans les propos d’Emmanuel. Ayant de gros problèmes d’audition depuis l’âge de 5 ans, j’ai du apprendre à mettre ce sens de côté, apprendre à m’en passer, pour en développer d’autres, comme la vue. Je préfère mille fois voir qu’entendre, car je n’ai pu être éduquer à écouter, à entendre. Au quotidien ou en voyage, ce qui prime pour moi ce sont les images que ma rétine va imprimer, emmagasiner. Elles sont les sons que je ne peux percevoir. Ces sons que tu distingues et décris si bien, l’un après l’autre; pour moi, sont mis dans le même paquet. Paradoxalement, je ne peux vivre sans ces sons qui sont pour moi plus un brouhaha de fond qu’un plaisir à entendre ou écouter. Ils me sont vital pour ne pas me voir confronter au silence. Car si le silence est pour toi un son agréable, pour moi, il est le pire de tous. Je vis au quotidien depuis mes 5 ans avec un bruit constant dans mes oreilles, des acouphènes. Et si le brouhaha ambiant n’est pas là pour les couvrir, s’il disparait pour laisser place au « silence », alors ca devient vite un enfer, puisqu’ils ne restent plus qu’eux.
On à tous une approche du voyage qui nous est propre, et je trouve la tienne, par les sons, très belle, très douce, très poétique. Je ne peux que te (vous) souhaiter de retourner immortaliser ce son qui te manque jusque là 🙂
retourdumonde
Posted at 00:40h, 18 févrierJ’en apprends sur les gens par les commentaires très personnels de cet article c’est vraiment étonnant.
Comme quoi le son fait réagir et ressortir des ressentis très profonds.
Merci Samantha !
sylvie
Posted at 07:53h, 16 févrierQuel dommage ! tes deux extraits sonores ont disparus ? si tu pouvais les remettre en ligne ,ou bien d’autres qui sait ? ; )
Sinon pourrais tu me dire quel logiciel tu utilises pour mixer son et musique ?
retourdumonde
Posted at 00:56h, 18 févrierBonjour Sylvie,
La disparition des deux extraits est dûe à un souci technique, j’espère qu’il va vite se résoudre.
Pour le mixage , j’utilise Sony Vegas.
A bientôt!
Curieuse Voyageuse
Posted at 19:19h, 02 marsHello !
Très chouette article sur un sujet qui me tient beaucoup à coeur… Tu as su trouver les mots justes comme ke dit Samantha !
J’avais tenté quelques carnets sonores, c’est un pur régal, ultra chronophage (à mon niveau du moins), mais quel régal.
Je te conseille de mettre tes sons sur soundcloud: ultra ergonomique pour toi & sons faciles à retrouver pour tes lecteurs / auditeurs.
A bientôt,
Aurélie
retourdumonde
Posted at 20:36h, 02 marsMerci Aurélie ! En effet, au moment où les players ne marchaient pas, j’ai pensé au soundcloud, j’en ai déjà un perso.
Mais ça y est ça remarche, alors je pense que ce ne sera pas pour tout de suite, je veux vraiment que les sons soient sur le blog.
Du coup, on s’est écouté tout tes sons !
A bientôt