08 Nov Voyager, une histoire de cartes
Suggestion d’accompagnement sonore :
The Box Tops – The Letter (Mala– 1964)
Énorme classique, n°1 à sa sortie aux US, n°5 en Angleterre, ce single des Box Top est LA chanson parfaite pour parler de voyage et des lettres qui traversent les océans.
Voyager, c’est avant tout une histoire de cartes. La carte routière que l’on déplie le matin, à la fraîche, sur le capot de la voiture encore couvert de givre. Les cartes à jouer, avec lesquelles on tape le carton, pour passer le temps dans une cuisine islandaise en attendant de récupérer un jeu de clés de voiture qui arrive par avion. La carte postale que l’on écrit à la lueur d’une bougie au chaud au beau milieu d’une communauté esseulée de Nouvelle-Écosse. Ces mêmes cartes que l’on compte, pour n’oublier personne, même si on finit toujours par oublier quelqu’un, que l’on envoie par plaisir, pas habitude et peu importe si ça explose le budget quand la dame à la caisse vous annonce un total de timbres de 50$. Parce qu’on a beau être à l’heure du numérique, du virtuel, de l’impalpable, ce petit morceau de carton qui traverse les océans reste quand même un moment agréable aussi bien quand elle est envoyée, que quand elle est reçue.
Quand j’étais minot, je me souviens que mon père était tombé dans la frénésie de la collection de la carte postale ancienne. Compulsivement, il dégotait, fouinait, recherchait, achetait, échangeait toutes les cartes ayant rapport avec ce village du Pays Basque où il avait passé une partie de sa jeunesse et où nous passions la nôtre. Ils étaient à peu près trois dans le village, trois à se partager le plus gros de la collection, trois à s’échanger des tips, des infos, à comparer, découvrir, à vouloir en monter une expo. Chez nous, là-bas, elles étaient et sont toujours accrochées aux murs du salon, dans les couloirs des parties communes de cette vieille baraque redivisée en apparts’.
Elles racontaient une histoire, mises à bout à bout, les pièces du puzzle s’imbriquaient, rendant l’histoire du village beaucoup plus lisible. Donnant une autre vision, un autre aspect, elles murmuraient à mon oreille l’histoire que seuls les anciens avaient connue. Le lavoir, le fronton, les charrues, les bœufs, l’ancienne mairie, les travaux des champs, telle maison qui n’existait pas, celle-ci bien plus vieille que je n’avais imaginé, etc…
Les cartes postales anciennes ont émergé au début du 20e siècle, quand le tourisme a commencé à prospérer, quand les gens – bourgeois pour la plupart – ont commencé à visiter leur pays, puis d’autres, et que la communication épistolaire était bien ancrée dans les mœurs. Chaque personne ayant ses habitudes, les uns envoyaient parfois des cartes vides, juste pour montrer où ils étaient, griffonnant parfois à même la photo, une flèche, indiquant leur lieu de résidence, tandis que d’autres, emportés par un entrain débordant, écrivaient leurs souvenirs, leurs histoires, sur plusieurs cartes postales, les numérotant pour que le destinataire ne se retrouve pas perdu en découvrant l’histoire. Le tout en faisant une confiance aveugle à nos amis des P.T.T. pour ne pas égarer un morceau de ce mini roman épistolaire.
Les cartes racontent des histoires et c’est sans doute pour ça que je les aime et que je continue à en acheter, comme le faisait mon père. Parfois artistiques, parfois énigmatiques, quelques fois mises en scène, elles sont le témoin du temps qui a passé.
Du coup, j’ai pris cette habitude à chaque retour de voyage, de retour au bureau, la tête encore ailleurs et les pieds déjà ici, quand dès le premier jour vous êtes encore dans la léthargie du voyage, dans le blues du retour et que vous n’avez aucune envie de reprendre, remarquant que le monde autour de vous ne s’étant pas arrêté. Pour contrer ce blues, entre le tri et la lecture de quelques mails, je me branche sur eBay, Delcampe et tous les autres dealers de CPA comme on dit dans le jargon, les Cartes Postales Anciennes.
Je tape le nom des villes traversées, des régions croisées, des villages appréciés et je me met à fouiller, à digger, à creuser, à décortiquer pour retrouver ces traces anciennes, pour retrouver ces bouts de souvenirs et pouvoir comparer le passé avec le présent, le temps qui a été et le temps qui est. On pourrait me dire que je pourrais très bien prendre ce réflexe avant de partir, pour voir les lieux, pour pouvoir les comparer sur place, mais non, j’estime que ce serait s’enlever une part de mystère, une part d’inconnu, une part d’impromptu.
Alors je fouille en rentrant, et c’est à force de collectionner, d’accumuler dans une enveloppe devenue beaucoup trop petite pour stocker tous ces souvenirs, que je me suis rendu compte d’une chose. On n’a rien inventé. Les photos un peu alone in the wild – une silhouette au loin dans un paysage – existaient déjà bien avant Instagram, les mises en scène aussi. Cette photo, cet angle, ce point de vue qu’on pensait avoir été le seul à prendre en photo, se pensant original, avait déjà tapé dans l’œil du photographe en 1906. On ne fait que répéter un cycle.
Cela m’a sauté au visage quand en revenant de Nouvelle-Écosse, je suis parti en recherche de CPA de la Cabot Trail, pour tomber sur le même angle, le même point de vue – à quelques dizaines de mètres près – de Cap Rouge, une ancienne communauté abandonnée lors de la création du Parc. J’avais pris la même image, quasiment au même endroit. Et puis j’ai tout déballé, j’ai regardé, et oui, les endroits les plus photogéniques on toujours été les mêmes, sauf changement majeur, on prend quasiment la même chose aujourd’hui qu’il y a une centaine d’années.
Il y a aussi un autre truc à savoir sur les cartes postales anciennes. Moi ce que j’adore, mon petit pêché mignon, c’est quand elles sont écrites – on dit alors qu’elles ont voyagé – ce qui est censé en baisser la valeur d’achat, me fait moi augmenter la valeur de l’intérêt. On y découvre des histoires anonymes, des morceaux de vies oubliées, cachées dans un grenier pendant des années. Des bribes d’instants, des familles en partance pour ailleurs, un couple en visite, ici un homme malade qui part chercher l’air de la mer pour se soigner, là un laconique « Bises » griffonné à la plume, et à la va-vite. Comme une pellicule que l’on aurait oubliée dans un appareil photo vendu en brocante, je déroule ainsi toutes ces histoires avec un plaisir de môme.
Depuis tout ce temps, j’ai donc une toute petite collection de cartes postales de ces endroits traversés, et j’en avais discuté avec Samantha il y a longtemps, mais je ne savais pas quoi en faire, comment les inclure dans les carnets, les articles, comment en parler, comment les montrer, l’expliquer et c’est donc en rendant compte que je prenais souvent, involontairement, la quasi même photo que ces cartes que j’ai eu l’idée de cet avant/après, pour montrer comment le monde a changé en un siècle, comment la Terre a évolué, en bien ou en mal, ce n’est pas à moi d’en juger.
Ma collection jalousement gardée va donc se dévoiler au fil des articles, au fil des destinations, j’aurai de nouvelles découvertes, je ferai face à de nouveau morceaux de vie, à de nouvelles histoires que j’essayerai d’inclure dans les articles. Le monde change, évolue, mais pour moi, voyager reste toujours une histoire de carte.
Céline
Posted at 12:18h, 08 novembreHâte de lire et voir la suite du coup
Les collectionneurs ont toujours ce petit quelque chose en plus 🙂
retourdumonde
Posted at 13:49h, 08 novembreLa folie ? L’accumulation compulsive ? Oui, je pense que les collectionneurs sont un peu barrés 😉
Merci pour ton petit mot Céline.
mzelle fraise
Posted at 16:05h, 08 novembreOh la la, mais c’est une super série d’articles qui s’annonce ! Ça me donne envie de jeter un oeil aussi sur des coins où je suis allée 🙂 Vive les collections et les collectionneurs 😉
mzelle fraise Articles récents..Hortus Botanicus Amsterdam
retourdumonde
Posted at 19:22h, 08 novembreCes gens sont fous ! Je t’ouvrirais l’enveloppe aux trésors la prochaine fois 😉
Estelle
Posted at 17:24h, 08 novembreSuper article, et surtout j’adore ce petit effet pour découvrir la carte postale puis la photo 🙂
retourdumonde
Posted at 19:17h, 08 novembreMerci Estelle ! 🙂
Anne
Posted at 17:51h, 08 novembreYouhou !!!! Je surkiiiiiiffe ! Par contre, je pourrai pas te faire la même avec celle de Rosans, le point de vue n’est plus accessible, à moins que je demande à la Mairie de couper les sapins bleus tout pas beaux qu’ils ont plantés, ouais je vais voir ce que je peux faire :p
retourdumonde
Posted at 19:19h, 08 novembreCe n’est pas possible de prendre le même point de vue que celle que je vous avais envoyé ? Mince, je pensais qu’il suffisait juste de grimper dans le champ en face de la parcelle !
C’est la seule carte que j’ai acheté, et que j’ai remis dans le circuit de la Poste, un collector, que dis-je, un trésor ! :p
Laponico
Posted at 17:55h, 08 novembreAh génial le principe ! C’est clair qu’il y a pas mal d’endroits où t’a envie de voir comment c’était avant, si ça a évolué ou pas…bonne idée de les inclure et les comparer quand t’y a été…ces photos ont un charme fou, j’en ai eu aussi quelques-unes de la forêt vers chez moi et certains endroits…
retourdumonde
Posted at 19:20h, 08 novembreLes évolutions sont souvent plus flagrantes dans les villes, les villages avec les rues, les bâtiments etc.. Mais c’est clair qu’il y a des photos sympas. J’en ai un paquet que je n’ai pas mis dans l’article parce que je n’avais pas la photo correspondante, que je pourrais regarder pendant des heures !
Alex
Posted at 18:17h, 08 novembreTellement stylé! Perso les cartes postales c’est vraiment pas mon truc, je trouve cela encombrant, mais j’ai bien hâte de voir la suite!
Alex Articles récents..Balade Dominicale à Champery
retourdumonde
Posted at 19:21h, 08 novembreAhaha, moi c’est un reflex de quand j’étais môme où on écrivait à la famille, du coup j’ai gardé cette tradition, je continue d’en envoyer et je suis toujours content d’en recevoir.
Alice
Posted at 19:38h, 08 novembreHaaaa, mais que serait un voyage sans cartes postales ? ^^
Mon chéri hallucine toujours du nombre de cartes que j’envoie, mais c’est qu’il y’a du monde à qui j’aime écrire et surtout, j’imagine tous ces sourires lorsqu’ils ouvriront la boite aux lettres. C’est mon côté old school 😉
C’est très chouette cet avant/après, cet article est plaisant à lire et découvrir ! Je me souviens d’un billet ressemblant chez Seth & Lise et ce système est parfait pour ta collection, alors j’ai hâte de tomber dessus au détour d’un de tes prochains articles 🙂
Et puis c’est fou de voir ces prises de vue quasi similaires ! On en veut encore !
retourdumonde
Posted at 16:25h, 09 novembreUn voyage sans carte postale ? Impensable tout simplement ! Mais c’est ça, le plaisir de l’envoi comme le plaisir de la réception c’est toujours des moments agréables. Du coup, il va falloir que je te rajoute à la liste des destinataires de cartes postales ! 😉
Je vais regarder chez Seth & Lise, j’avais dû passer à côté de cet article 😉
Des bises Alice !
Alice
Posted at 18:27h, 09 novembreHaha, et moi de même ! 😉
C’était il y’a quelques temps (je me demande même si ce n’était pas il y’a quelques années ?), un billet avant/après de lieux et rues de Montréal si je me souviens bien 🙂 Ils avaient fait dans l’autre sens que toi, en prenant exactement le même angle de vue que les cartes postales, du coup c’était assez addictif de bouger le curseur de gauche à droite pour voir tous les changements 🙂
Alice Articles récents..(re)bonjour Strasbourg, en 7 jolies adresses
Manu
Posted at 11:51h, 10 novembreBeau concept, doucement rêveur 🙂
Bien ce plugin pour comparer deux photos à deux époques.
Je continue d’écrire des cartes postales, d’en recevoir aussi. C’est une tradition familiale que ma mère perpétue réellement et j’ai réussi à inciter des amis à en écrire car cela leur faisait plaisir d’en recevoir. Et les plus jolies ou celles qui ont une valeur sentimentale, je les ait affichés sur le côte d’une armoire ou alors pour les plus précieuses, au dessus de mon écran. A vrai dire à plusieurs endroits stratégiques où les yeux se poseront plus facilement.
Je pourrais disserter longtemps sur les cartes postales, mais ce sont vraiment ce genre de trucs qui prolongent la durée de vie de la mémoire liée à un évènement. Un dernier exemple, hors carte postale: j’ai depuis plus de 10 ans l’affiche de mon film préféré toujours en face de moi, pour me rappeler que c’est celui là mon préféré 😀
retourdumonde
Posted at 17:17h, 17 novembreMerci Manu !
Moi aussi je continue, c’est un rituel dont je ne pourrais me passer, et pareil, elles sont toutes pour la plupart affichées sur la porte de l’appartement, et les tiennes, celles que tu nous avais envoyées de Nouvelle-Zélande, sont elles aussi de la partie. Surtout qu’on avait eu la chance d’en avoir deux ! 😉
Amélie
Posted at 19:03h, 10 novembre« Les cartes racontent des histoires » mais c’est exactement ça ♡
Autour de moi on ne comprend pas trop (surtout avec le blog) que je continu à envoyer autant de cartes postales .. Par contre, ces personnes sont bien contentes de les recevoir haha. J’en ai un paquet qui traîne aussi ; celles qu’on m’envoie et celles que je m’envoie pour garder une trace, un souvenir personnel du moment présent où je l’ai écris.
( Belle idée pour nous les présenter en tout cas)
retourdumonde
Posted at 17:21h, 17 novembreC’est marrant ça, on peut être « dans son temps » tout en ayant toujours un affect avec ce genre de traditions un peu datées, enfin c’est mon point de vue ! Et au risque de me répéter, les anciennes cartes postales, celles qui ont voyagées sont une mine d’or pour l’imagination, ces petites bribes du passé, ces petites bribes d’histoires oubliées….Qu’est-ce-que j’adore ça !
Isa
Posted at 12:39h, 19 novembreJ’envoie toujours des cartes pour mes voyages longs. J’adore l’idée que mes parents, par exemple, reçoivent une carte pour chacune de mes étapes, avec une semaine ou deux de décalage… Récemment, j’ai arrêté de le faire pour raisons financières et clairement, il manque quelque chose !
J’adore en recevoir, aussi, mais je ne sais qu’en faire après les avoir lues. Je suis l’anti-collectionneuse, je suis supporte pas d’avoir des objets. Alors je les jette, et ça me fait culpabiliser…