Zugarramurdi, Sympathy for the devil

Zugarramurdi, Sympathy for the devil

Zugarramurdi. Je me revois encore minot, la tête écrasée sur la fenêtre et entendre mes parents me dire « ici c’est le village des sorcières ». Dans ma tête le film commençait, je voyais le ciel devenir noir, les sorcières quadriller le ciel sur leurs balais, je m’imaginais tout un tas de trucs pas tout à fait vrais, encore que… Car ici, il y a plus de 400 ans eut lieu d’une des plus grosses chasses aux sorcières. Bienvenue à Zugarramurdi, là où on a de la sympathie pour le diable.

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Ca faisait une paye que je voulais remettre les pieds dans ce petit bled d’à peine 243 habitants, remis sur le devant de la scène suite au film éponyme d’Alex de la Iglesia. Du chemin qui mène à Zugarramurdi et au Cuevas de las Brujas (ou Sorginen Leizea pour les locaux), j’en gardais un lointain souvenir, balloté à l’arrière de la voiture, passant sur un petit chemin qui nous faisait traverser la frontière à côté d’une venta esseulée au milieu d’un pré pour chevaux, une grande montée et bam, l’église, la place du village, les maisons au bois sombre typique de la Navarre.

Quand on est descendus un week-end au Pays Basque, l’occasion était trop belle de ne pas y retourner, j’avais envie de (re)découvrir des coins oubliés, alors on a récupéré Maïder au passage et on a fait la route sous la pluie. On s’est paumés au niveau de la vieille route de Sare, ce qui m’a permis de reprendre ce chemin qui pionçait au fin fond de ma mémoire. Un mal pour un bien. Après quelques zigzags au milieu des ruelles étroites du bled, l’entrée de la grotte.

Autant lever le mystère tout de suite, ici pas de stalactites, ni de peintures rupestres. Les grottes de Zugarramurdi, c’est de la pierre chargée d’histoire. Mais bougez pas on va tout vous expliquer. On paye l’entrée, et on attaque les premiers escaliers glissants. Face à nous une énorme arche de pierre, surplombant l’Olabidea, le petit ruisseau.

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Bon et c’est là qu’arrive le point historique. Pour faire court, début 17ème, las des querelles de voisinages et des prises de becs, des notables s’en remettent à Henri IV, lui demandant d’intervenir. Ce dernier, voulant se mettre les Basques dans la poche pour des raisons stratégiques envoie un illuminé : Pierre de Lancre. Dévoué comme pas deux, flairant le mal un peu partout, l’inventant s’il ne le trouvait pas, bref sa marotte c’était les sorcières, le diable, et tout ce qui va avec. Pendant plusieurs mois il terrorisa la région accusant à tort à travers, faisant des procès de Urrugne à Saint-Jean-de-Luz en passant par Saint-Pée-sur-Nivelle (où d’ailleurs on peut toujours voir la tour carrée en pierre qui servit de prison et de lieu de torture).

L’ambiance était à qui dénoncera qui, un rien pouvait vous envoyer sur le bûcher, faisant ressortir les vieilles guéguerres, les superstitions, mais pas toujours… Côté espagnol c’est Don Juan del Valle Avarado qui marchant sur les pas de Pierre de Lancre, fut mandaté pour recueillir les dénonciations et appliquer les sentences sur plus de 300 personnes. Ca c’est le background historique. Continuons la visite on développera un peu plus tard.

On continue notre avancée, s’engouffrant dans les artères de la grotte qui surplombe la principale cavité de 12 mètres de haut, sur 120 mètres de long. C’est peut-être l’esprit qui travaille, mais un peu comme en Islande, parfois l’œil nous joue des tours, et les rochers semblent avoir des formes humaines, ici une paire d’œil, là-bas une silhouette.

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Demi-tour. On redescend, longeant le Infernuko Erreka, le ruisseau de l’enfer, pour se retrouver au cœur même des légendes, sur le promontoire qui domine la grotte. C’est ici dit-on que s’organisaient les sabbats, les fêtes païennes d’adoration du cornu, du bouc, du diable. Qu’on y croit ou pas, une chose est sûre, oui il se passait des choses, maintenant avaient-elles vraiment un rapport avec le diable, mystère. Dans le (très bon) livre La Sorcellerie au Pays Basque de Josane Charpentier (édition de 1977 bonne chance pour le trouver), elle explique que les démonologues (oui ça existe) avait appelé sabbat «(…) toute réunion, clandestine, et le plus souvent nocturne, qui sortait des normes ordinaires, que ce soit les assemblées de paysans mécontents, (…) les fêtes de bohémiens, de cagots ou même de vulgaires orgies.(…) ». A cette époque tout ce qui s’écartait de la règle dictée par l’Eglise romaine était suspect. Les fêtes relatives aux solstices par exemple.

Et si jamais le coeur vous en dit, tous les 18 août, ici même dans la grotte, a lieu une cérémonie pour clore le zikiro jate, le dernier jour des fêtes patronales. 800 personnes autour d’agneaux rôtis à la broche, sous les lumières des torches.

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Même si vous restez sceptique, et j’en vois au fond, le lieu a un fort potentiel, un passé dont on ne connaitra sans doute jamais toute l’histoire. On continue notre avancée vers une autre sortie de la grotte, surnommée en raison de sa forme « La Cathédrale du Diable ». En effet la forme de la voute creusée par l’ancien ruisseau, n’est pas sans rappeler la voute d’une nef.

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Bercés par la résonance du ruisseau qui s’écoule, on grimpe les cailloux, on zigzague, on descend, on avance afin de regagner la lumière. Dehors le ciel est gris, les nuages se demandent quand ils vont pouvoir exploser de pluie et la végétation est fluo tant elle est gorgée d’humidité et s’y sent bien.

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Au bout du ponton de bois, histoire de vous rappeler où vous êtes si vous l’avez oublié, un pont décharné, tenant à peine debout et naturellement appelé Infernuko Zubia, soit Le pont de l’Enfer. A nous trois on prend notre temps, on est quasiment seuls, la pluie s’est arrêtée, bercés par le ronron du ruisseau, on prend le temps d’observer, d’admirer la forêt dense qui nous entoure.

Diablerie mise à part, ils ne faut pas oublier que, la frontière n’étant pas si éloignée, nous sommes au cœur même des chemins de contrebandiers qui acheminaient des marchandises entre la France et l’Espagne. Quand on vous dit que c’est une région chargée d’histoire.

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La déambulation continue, reprend son rythme alternant, pont, et grimpette de sentier, nous donnant des points de vue sur les montagnes aux alentours dont La Rhune (ou Larrun pour les puristes). On croise un banc esseulé qui attend sans doute le marcheur en petite forme, pour terminer sur un promontoire qui domine la vallée. Au loin Zugarramurdi se détache des champs vert pomme.

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Marche arrière, retour sur nos pas pour une partie du trajet avant d’attaquer un autre haut lieu des sabbats. Un chemin en ligne droite étroite, nous fait longer l’Akelarre, littéralement le Pré aux boucs. Pourquoi le bouc ? Nul besoin de vous rappeler la figure diabolique de cet animal, mais aussi pour une raison propre à la mythologique basque qu’il serait un peu trop long d’expliquer.

C’est ici qu’avait lieu les Batzarres (de Batazun la réunion et Barratz le jardin), les réunions champêtres où les dames appartenant à la secte des Sorguinas (Sorcières) venaient rompre la monotonie du quotidien à coups de festins et de bals.

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Ca c’était le deuxième point historique. On pénètre à l’intérieur de l’Akelarre Leze, la grotte du sabbat, qui elle aussi, en vis-à-vis de la première surplombe la cathédrale et l’ensemble de la grotte. Là encore, les formes de la grotte sont parfois humaines pour qui a un peu d’imagination.

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On prend le chemin du retour, bouclant la boucle. La tête pleine d’histoire, essayant de démêler le vrai du faux, l’impalpable du réel, la réalité ou les mythes. Se rappelant tout de même que mythe ou réalité, furent emmenés, brûlés vifs, dépossédés de leurs biens et condamnés au bûcher ou à l’exil perpétuel plus d’une quarantaine de personnes pour « délit de foi » dont la célèbre Graciana de Berrenetxea, 80 ou 90 printemps, Reine de l’Akelarre.

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Dehors la pluie s’est remise à tomber, le ciel est gris, la luminosité décline et alors qu’on laisse les grottes derrière nous Sympathy for the Devil des Rolling Stones commence à me trotter dans la tête. On quitte Zugarramurdi avec la drôle d’impression d’être observés…

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